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France-Islam, le choc des préjugés (M. Bezouh)

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Titre:

France-Islam, le choc des   préjugés.

Notre histoire des croisades à nos jours

Auteur:

Malik Bezouh

Editeur:

Plon

Date de   parution:

Septembre 2015

 

Ce livre ne traite pas vraiment d’un « choc des préjugés » mais constitue plutôt une plaidoirie à charge sur ceux, français, à l’encontre du monde arabo-musulman, sans la contrepartie des préjugés opposés.

 

Par exemple, à propos du Moyen-âge, l’auteur enchaîne de manière totalement décontextualisée les discours et invectives dirigés contre un ennemi avec lequel leurs auteurs sont en guerre et dont l’occupation des lieux saints, la persécution des chrétiens d’Orient et des pèlerins sont connues, mais surtout dont les exactions sont visibles non seulement en Espagne occupée mais aussi aux marges de celle-ci, dans à peu près tout le midi français(1)… Si la succession des diatribes assimilant l’islam à un paganisme (pp 46-50) montre bien une méconnaissance de cette religion, il ne s’agit là que de commentaires qui, comme le reconnait l’auteur, évoluent avec une meilleure appréhension: on ne retrouvera évidemment pas cette teneur au XIIIème siècle, quand saint-Thomas d’Aquin (grand absent de l’ouvrage!) discutera les thèses philosophiques d’Averroès ou d’Avicenne. A l’inverse, le terme «d’associateur», prêtant une forme de polythéisme aux chrétiens en raison de leur croyance en la Trinité, n’est pas sujet à évolution puisque gravé dans le marbre du Coran: j’ai été encore récemment gratifié de ce qualificatif par un camarade musulman, avec le sourire bien sûr, mais les mots restent les mêmes et ne peuvent changer puisqu’ils sont une référence coranique…

 

Page 64, on trouve une rapide allusion à «un ordre de la Merci, dédié au rachat des captifs chrétiens en terre infidèle», fondé en 1218… Tiens ! Mais pourquoi donc créer des ordres, qui perdureront encore longtemps (cf. la congrégation de saint-Vincent de Paul, dont il est question plus loin), dont la finalité spécifique est de collecter des fonds pour racheter ces prisonniers? Tout simplement parce que l’esclavage est pratiqué à grande échelle dans le monde musulman, et pas seulement sur les côtes somaliennes! Les nombreux vestiges d’architecture défensive que l’on peut voir sur la côte méditerranéenne septentrionale rappellent que les raids barbaresques y ont sévi jusqu’en 1830, date de la prise d’Alger. L’auteur évoque ces marchés aux esclaves du Maghreb, mais remet les choses «à niveau» en insinuant page 137 qu’au XVIIe siècle, la France avait aussi dans ses galères «Turcs et Maures razziés en mer». Comme on ne peut assurément pas taxer l’auteur d’ignorance, force est d’imputer cette présentation des faits à la mauvaise foi… Car la France n’exécutant pas de raids débarqués en Barbarie, ne serait-ce qu’en raison de la faiblesse de sa marine, évoquée page 127, les galériens «turcs et maures» ne peuvent être que des pirates barbaresques capturés au cours de combats navals. C’est tout de même assez différent des marchés aux esclaves d’Alger, Tunis et Tripoli, où les victimes étaient principalement des religieux, des femmes et des enfants enlevés dans des razzias côtières!

 

Comme à peu près tous les éléments de contexte historique, la sécularisation induite par l’irruption, à la fin du Moyen-âge, de l’Etat moderne s’affranchissant de toute autorité spirituelle est très bien vue. Ainsi, en s’alliant à un ennemi éloigné (l’Alliance impie de François Ier…) pour faire face à un ennemi proche (Saint-Empire, Espagne…), la France moderne a brouillé les cartes et a définitivement enterré l’idée de Chrétienté. C’est encore cette raison d’état qui limitera Richelieu dans sa lutte contre la piraterie barbaresque (pp 126-130). A cette époque, outre la «plaie barbaresque» toujours très présente, les propos contre l’Islam et les Arabes (les Turcs sont évidemment, autant que possible, épargnés, bien qu’étant l’autorité administrative des barbaresques) participent de la résilience d’une affirmation de son identité propre, contre une altérité. Car, comme l’affirme Carl Schmidt, l’unité politique ne peut passer que par la définition de l’antagonisme «ami-ennemi», ce qu’on retrouve évidemment dans la partition musulmane du monde entre «Dar al Islam» (terre régie par la charia) et «Dar al Harb» (terre impie), avec le «Dar al Jihad» (terre où l’on doit porter le fer pour imposer la loi islamique) entre les deux. Bien analysé pp 233-234, un glissement dans la définition de cette identité va s’opérer à l’occasion de la Révolution Française : on abandonne les valeurs spirituelles et religieuses pour celle, moderne, de la Patrie (cf. l’excellente analyse de J. de Viguerie, Les deux patries).

 

Le prisme de la position par rapport à l’Islam est assez réducteur, voire anecdotique, pour étudier le siècle des «lumières»… En effet, soit la religion mahométane est englobée indistinctement dans la même haine portée à toutes les religions (en particulier la catholique), soit l’arabo-musulman n’est que la conceptualisation de l’autre, d’un exotisme lointain, comme le Persan du «comment peut-on être persan?» de Montesquieu. Et quand l’auteur trouve un écrivain qui sort du lot (Jean-Baptiste-René Robinet, page 210) parce qu’il prête une grande tolérance aux Mahométans, c’est au contraire là qu’éclate, me semble-t-il, l’ignorance la plus manifeste! Car, où l’Islam établit la charia, chrétiens et juifs ne sont tolérés que sous le statut de dhimi, leur imposant le choix entre la conversion et –dans le cas le moins pénible- un impôt spécifique. Ce commandement est explicite dans le Coran et sont exclus de ce statut païens et athées: c’est pourquoi, aujourd’hui encore, avant de poser le pied en Arabie Saoudite, il faut produire un certificat de baptême si vous n’êtes pas musulman… La même atténuation (manipulatrice?) des rigueurs pas très p.c.(2), propres à l’organisation islamique, se retrouve pages 34 et 35, où il est dit qu’après atteintes au prophète (Mahomet) à Cordoue, au début de l’occupation arabe, «les autorités religieuses, chrétiennes et musulmanes, réagissent en sommant les provocateurs de mettre un terme à leur campagne de dénigrement»… «De concert», sommes-nous tentés d’ajouter dans un élan utopiste d’aspiration à la fraternité universelle condamnant l’irrespect des caricaturistes? Que nenni! Ces réactions étaient vraisemblablement motivées par des raisons différentes: interdiction du blasphème dans un cas et exhortation à la prudence dans l’autre… D’ailleurs, quand les fauteurs de trouble sont remis au bras séculier(3) pour être décapités, c’est bien dans le califat, où les autorités religieuses chrétiennes n’ont pas voix au chapitre!...

 

Pour revenir au siècle des «lumières», le portrait dressé de tous les acteurs, de ce siècle et de la Révolution, «philosophes» comme réactionnaires, semble assez exhaustif et fidèle. Pertinente aussi l’analyse qui fait naître de ce rationalisme matérialiste, vainqueur au XIXe siècle, le darwinisme non seulement biologique mais aussi social, qui donnera les théories raciologiques, ces dernières voyant LA civilisation (donc sans égard pour les différents principes civilisationnels) comme le résultat matérialiste d’un processus de sélection naturelle (cf. à ce sujet La gauche réactionnaire de Crapez). Après des pages consacrées à l’application de cet esprit scientiste principalement aux relations de la France coloniale en Algérie, la fin de l’essai tranche radicalement avec le reste du propos. Dans ces quelques dernières pages, l’auteur pose cette question cruciale: l’Islam est-il finalement soluble dans la République, comme le catholicisme a fini par se dissoudre dans le laïcisme? Partant de son parcours personnel, qui va de l’adhésion à l’islamisme radical à un revirement pour accepter «sa francité», l’auteur veut répondre par l’affirmative. On peut ne pas le suivre sur cette voie… D’abord parce que le ton unilatéral et victimaire pour les Arabes qu’il tient tout au long de son livre plaide pour la permanence du fait identitaire, tout comme l’anecdote finale qui répond à celle qui ouvre cet essai: alors que le frère de l’auteur, étant pion, s’est vu menacé par un élève dans ces termes: «Si tu fais ça, je vais dire à tout le monde que tu es un Arabe!», c’est la petite fille de ce même frère qui dit quelques années plus tard à une condisciple: «Toi, tu es une Française d’origine française qui mange du cochon!». Ensuite parce que si ce fait identitaire est inévitable, ce sont finalement les principes et textes originels propres qui auront le plus d’autorité. Or l’Islam libéral est une interprétation encore plus exogène que ne peut l’être le catholicisme libéral parce qu’il ne s’oppose pas à une Tradition, mais à la lettre même du Coran, qui ne distingue pas le pouvoir temporel de l’autorité spirituelle.

 

L’intérêt de ce livre réside donc plus dans son analyse des éléments de contexte que dans le développement de son thème central, finalement peu convaincant.

 

Georges

 

(1)   Pour relativiser ces «horreurs» proférées au début de l’expansion islamique, comparons avec les jugements tenus plus récemment, au XXe siècle, contre un autre ennemi, le soldat allemand, qui coupait les mains des enfants dans le premier conflit mondial, pour ne pas parler du second, au cours duquel on a achevé de lui ôter tout caractère humain (cf. les principes élémentaires de propagande de guerre)…

(2)   «politiquement correctes» ; lire «pi si» pour être dans le coup…

(3)   Bien qu’employé page 35, le terme est inapproprié puisque, dans l’Islam sunnite, pouvoir séculier et autorité religieuse sont réunis dans une même personne, le calife, chef temporel et commandeur des croyants.

 

Complément documentaire

 

 



18/06/2016
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