Salon de lecture

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Principes élémentaires de propagande de guerre (A. Morelli)

 

Titre:

Principes élémentaires de propagande de guerre

Utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède…

Auteur:

Anne Morelli

Editeur:

Editions Aden

Date de parution:

Août 2011 (1ère éd. 2001)

 

Voici un petit livre stimulant et iconoclaste qui, à la suite des travaux du député pacifiste britannique Lord Ponsonby (1871-1946), décortique les mécanismes de la propagande de guerre. L'auteur les regroupe en 10 principes élémentaires, les dix « commandements » de la propagande de guerre. Si ce type de propagande, qui a pour but de faire adhérer les masses à une entreprise belliqueuse, trouve sa première illustration à grande échelle avec la Première Guerre Mondiale, on aurait bien tort de croire qu'elle appartient à un passé révolu ! Il n'y a, pour se convaincre du contraire, qu'à regarder comment elle se traduit aujourd'hui en permanence dans l'actualité…

   

1.    Nous ne voulons pas la guerre

Aussi étonnant que cela puisse paraitre au regard de toutes les guerres faites depuis le début du XXème siècle, aucun chef d'état n'a jamais revendiqué de volonté belliqueuse et, au contraire, tous ont toujours cherché à préserver la paix jusqu'au dernier moment… Alors, comment diable des guerres peuvent-elles être déclarées ?

2.    Le camp adverse est seul responsable de la guerre

Voilà donc la pirouette… Comme on l'a appris à l'école, que l'on attende la déclaration de guerre de l'Allemagne en 1914, après une folle course aux armements et les mobilisations générales, ou que l'on déclare nous-mêmes la guerre en 1939, contraints en cela par les agressions caractérisées que constituent les annexions de l'Autriche et de la Tchécoslovaquie, c'est toujours l'Allemagne la seule responsable. De même, de l'autre coté du Rhin, c'est le refus des alliés de revoir l'inique traité de Versailles qui a forcé le Reich à régler lui-même ses problèmes (le fait est que le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » n'était apparemment pas applicable pour les peuples germaniques et n'a présidé en rien à la création d'états artificiels comme la Yougoslavie ou la Tchécoslovaquie), comme il a été contraint d'envahir la Pologne pour que cessent les agressions de ses ressortissants… La première guerre du Golfe a ainsi été déclenchée par Saddam Hussein qui a « défié la communauté internationale » en annexant (ou en récupérant, c'est selon le point de vue…) le Koweït, le bombardement de la Serbie n'a été fait que contraint par les provocations de Milosevic ou encore, la justification de l'invasion de l'Afghanistan réside dans la déclaration de guerre que constitue… l'attentat du World Trade Center ! Car, depuis qu'on a pris l'habitude, à partir de la Première Guerre Mondiale, de faire un procès aux perdants, la guerre implique une stigmatisation morale de l'ennemi.

3.    L'ennemi a le visage du diable (ou « L'affreux de service »)

Inutile d'insister sur ce point tant est classique la déshumanisation de l'adversaire, que l'on qualifiera, selon la mode du moment, de « Barbare sanguinaire » (au « sang impur », probablement…), ou autre « axe du mal ». Comme il n'est pas évident de faire admettre l'identification diabolique d'un peuple entier, on cherchera toujours à personnaliser cet ennemi : ainsi, on ne fera pas la guerre aux peuples allemand, serbe, iraquien ou libyen, mais au fou Hitler, au criminel Milosevic, au sadique despote Saddam Hussein ou au monstrueux Kadhafi… Un procédé qui a encore de beaux jours devant lui consiste à comparer le méchant de service à Hitler, dont l'identification au diable n'est même plus discutable.

4.    C'est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers

Les mobiles habituels d'une guerre, domination géopolitique ou économique, sont difficilement recevables tel quel par une opinion publique… Alors, puisqu'on combat le diable, on peut très bien faire la guerre pour rétablir la paix, défendre les petites nations, libérer les peuples pour faire triompher la démocratie ou autre belle et noble cause. Ainsi, ce n'est pas pour mettre au pas un pays qui devient arrogant après avoir été soutenu trop longtemps contre l'Iran, ni même pour contrôler ses ressources pétrolières que l'on fait la guerre à l'Irak, mais pour venir en aide à ce pauvre petit pays (le Koweït) injustement envahi. Depuis le dernier artifice de « l'ingérence humanitaire », que de crimes et de guerres peut-on commettre au nom des droits de l'homme ! Bien sûr, passées la guerre et sa fièvre (qui survit souvent longtemps à la première…), on peut rouvrir certaines archives et découvrir, à froid, des causes bien moins avouables que celles brandies mais ça, c'est l'affaire des historiens… Pour les propagandistes, qui ont la responsabilité de gérer dans l'immédiat une matière aussi instable que l'opinion publique, il est nécessaire de convaincre, par un raccourci manichéen et non par des raisonnements, que l'on est dans le camp du Bien !

5.    L'ennemi provoque sciemment des atrocités ; si nous commettons des bavures, c'est involontairement

Il est vrai que les temps de guerre ont une vilaine propension à libérer des pulsions sadiques pathologiques qui pour la plupart auraient été contenues ou maîtrisées en d'autres temps. Ces débordements horribles sont renforcés dans la guerre moderne par la disparition de la distinction entre civils et militaires. Mais ce principe de propagande ne veut retenir ces monstruosités que commises par l'ennemi, les érigeant en règles qui n'auraient pas cours dans notre camp. Malheureusement, la réalité est plus compliquée, ou plus simple : quand les barrières sautent, il y a des comportements déviants, et heureusement marginaux, dans tous les camps, même s'ils sont diversement médiatisés. Actuellement, les partisans de la rébellion syrienne vous montrent des vidéos incroyables de rebelles prisonniers et ligotés qui se font décapiter à la tronçonneuse… L'avantage avec Youtube (en est-ce vraiment un ?), c'est que juste à coté, vous pouvez trouver d'autres vidéos d'exactions similaires commises par les rebelles ! Si l'on connait généralement le viol des femmes allemandes (à grande échelle, sans doute, mais systématique ?) par les soldats russes en 1945, une étude de 2003 (*) s'est penchée sur les viols commis par les soldats américains à la même période en Allemagne et, avant ça, aussi en Grande Bretagne et en France (plus de 17 000 recensés). Quant aux crimes à l'échelle institutionnelle, les nations « vertueuses » (c'est-à-dire celles qui détiennent aujourd'hui la majorité des moyens de propagande) oublient un peu vite que les Etats-Unis se sont bâtis sur le génocide des indiens, ou que les premiers camps de concentration ne sont pas allemands mais anglais, à l'occasion de la guerre des Boers où, couplés à une politique délibérée de la terre brulée, ils ont provoqué la mort de plus de 20 000 femmes et enfants (soit une mortalité de plus de 50%). Les horreurs sont tellement propres à susciter l'émotion dans la population ciblée par la propagande, qu'on peut même aller jusqu'à inventer des monstruosités, supposées commises par l'ennemi diabolique ; parmi ce type de bobards de guerre, on peut retenir, par exemple, la fable des méchants soldats allemands qui coupaient les mains des petits enfants au début de la Première Guerre Mondiale, ou encore celle des barbares soldats irakiens qui ont débranché les couveuses à Koweït City…

A l'inverse, notre camp n'use que de la violence minimum nécessaire… Depuis la première guerre du Golfe, tous les média nous répètent que nous ne pratiquons que des « bombardements chirurgicaux ». Si, par mégarde, l'opération chirurgicale s'éparpille un peu, on évoque l'affaire sous le pudique euphémisme, dont l'usage est parfaitement généralisé, de « dommages collatéraux ». La même chose commise par le camp d'en face est, plus prosaïquement, un « massacre ».

6.    L'ennemi utilise des armes non autorisées

Dans l'histoire, l'Eglise a condamné, sans succès, des armes jugées trop « inhumaines », comme les armes à feu… Son statut d'institution spirituelle ne prenant généralement pas part directement aux conflits lui donne une certaine légitimité pour ce type de jugement moral ; lorsqu'un état séculier juge qu'une arme utilisée par son ennemi est illégitime, c'est que, soit il est surclassé, n'ayant pas la maitrise de cette arme (pensez aux populations qui subissent les bombardements d'un ennemi qui possède ou a conquis la suprématie aérienne…), soit il veut en garder le monopole ou rejeter la responsabilité de son usage sur son adversaire, comme toutes les nations belligérantes de la Première Guerre Mondiale avec l'arme chimique. L'invocation de l'arme non autorisée peut encore être un moyen de renforcer les arguments précédents pour convaincre de la justesse d'une cause, comme dans le discours d'anthologie devant les Nations Unies en 2003 de Powell, qui n'a pas craint de risquer le ridicule avec sa démonstration de la nécessité pour le monde-libre-du-Bien de combattre le diabolique Saddam, qui se peaufinait dans son coin ses petites « armes de destruction massive » (ADM : ça ne veut pas dire grand-chose mais l'acronyme est devenu courant…) !

7.    Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l'ennemi sont énormes

Dans le but de doper le soutien à notre guerre et d'éviter toute démoralisation, toutes les informations seront présentées dans ce sens, quitte à les remodeler parfois un peu…

8.    Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause

Puisque le levier principal de la propagande, c'est l'émotion, il est logique de donner leur place aux professionnels que sont les artistes et les intellectuels. Avec le matraquage médiatique toujours plus omniprésent et plus propre à générer des émotions directement sans passer par le discours structuré (radio d'abord, puis télévision), il n'est pas difficile d'occulter ou dénigrer les voix discordantes.

9.    Notre cause a un caractère sacré

Historiquement, encore au début du XXème siècle, les puissances séculières laïcisées avaient besoin de compromettre dans quelques Unions Nationales les restes de religions pour faire admettre la sacralité de leurs causes (voir Jean de Viguerie, Les deux patries, Dominique Martin Morin, 1998). Mais aujourd'hui, les idoles séculières telles la Démocratie, la « civilisation », la Liberté ou l'économie de marché sont « sacrées » en elles-mêmes ! Bien pratique et plus direct pour une lecture simple et manichéenne du monde : on n'a même plus besoin de Dieu pour reconnaitre les siens dans nos tueries puisque tous les bons sont de notre coté et les salauds en face…

10.  Ceux qui mettent en doute la propagande sont des traîtres

Corolaire du point 8 et conséquence du 9. Il est évident que le sort médiatique d'un BHL est plus enviable que celui d'un Alain Soral…

 

Avant de proposer, en guise de travaux pratiques pour y retrouver les 10 principes détaillés précédemment, la reproduction de 3 discours récents (T. Blair à l'entrée en guerre en Irak le 20 mars 2003, B. Obama à l'occasion de son prix Nobel de la paix le 10 décembre 2009 et le Premier ministre israélien B. Netanyahu sur la flottille de Gaza le 1er juin 2010), l'auteur se pose, entre autre dans sa conclusion, la question de savoir si nous sommes toujours aussi crédules que nos ancêtres d'hier… Bien sûr, la première réponse qui vient est « oui » car sinon, comment expliquerions-nous la permanence voire le développement de cette propagande, si elle était inefficace ? Mais l'auteur veut tempérer cette affirmation par l'espoir que le public éduqué sera capable de scepticisme et d'esprit critique. Ce rêve se nourrit de la croyance démocrate selon laquelle l'opinion publique ne résulterait que d'une addition d'atomes, chacun capable d'un comportement et d'un jugement autonomes, indépendamment de toute superstructure… Croyance que je ne partage pas le moins du monde car elle nie la spécificité d'une foule d'individus socialisés, dont le comportement est par nature différent de la simple juxtaposition des comportements des individus rationnels qui la composent. Au contraire, il me semble que la propagande est consubstantielle de la démocratie moderne, qu'elle lui est nécessaire pour « organiser le chaos » (selon le mot d'Edward Bernays), c'est-à-dire pour susciter des courants d'opinion avec le minimum de stabilité requis pour l'existence de toute autorité.

 

Georges

 

(*) : Lilly (J.R.), La face cachée des G.I.'s, Payot, 2003

 

Bibliographie

·             Serge Halimi et Dominique Vidal, « L'opinion, ça se travaille… », Agone, 2006.

·             Sephton Delmer, Opération Radio Noire – Black Boomerang, Stock, 1963 : exemple très intéressant d'un autre type de propagande de guerre, pratiqué là pendant la Seconde Guerre Mondiale ; contrairement à la propagande blanche, dont il est question dans cette fiche, la propagande noire vise la déception de l'ennemi en cachant son origine, laissant croire qu'elle est émise d'en face.

·             Edward Bernays, Propaganda, La Découverte, 2007 : il n'est pas inutile de rappeler que ce grand spécialiste a commencé par la propagande de guerre, en participant à la Commission Créel qui avait pour but de rendre l'opinion américaine réceptive à une entrée des Etats-Unis dans le premier conflit mondial.

·             Rick Bragg, Jessica Lynch : Otage en Irak, Michel Lafon, 2004: bon exemple de propagande de guerre, avec une histoire parfaitement insignifiante (un jeune soldat féminin, blessé, est récupéré par les irakiens qui la gardent à l'hôpital jusqu'à sa « libération » par l'avance américaine) mais qui, bien présentée, pouvait faire pleurer dans les chaumières…

·             William Engdahl, Pétrole, une guerre d'un siècle – L'ordre mondial Anglo-américain, Jean-Cyrille Godefroy éditions, 2007 : intéressant pour lever le voile sur une bonne partie des ressorts cachés des déclenchements de guerre.

·             Pour tenter de décrypter les événements actuels en Syrie, Bahar Kimyongür, Syriana, la conquête continue, Investig'Action – Couleur Livres, 2011 : compte tenu de l'implication de l'auteur, Alaouite turc, son livre tient moins de la contre-propagande que d'une propagande contraire à celle que l'on entend habituellement…

·             Sur l'importance contemporaine de l'idéologie dans la conduite de la guerre, qui rend inévitable le recours à la propagande, on pourra lire Dominique Venner, Le siècle de 1914, Pygmalion, 2006, ou encore Alain de Benoist, Carl Schmitt actuel, Krisis, 2007

 

 



29/12/2012
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