Salon de lecture

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Tyrannie démocratique et tyrannie monarchique

Titre:

Saint Thomas d’Aquin

Auteur:

Etienne GILSON

Editeur:

Lecoffre

Date de parution:

1925

 

Extrait de GILSON Etienne, Saint Thomas d’Aquin, éd Lecoffre 1925, deuxième partie Morale particulière, p 360

 

Pourquoi la tyrannie démocratique est toujours bien pire que la tyrannie monarchique

Commentaires du De Regno d’Etienne Gilson

 

 

Ajoutons enfin que l'expérience même le prouve; car les provinces ou les cités qui ne sont pas gouvernées par un seul souffrent de dissensions et sont agitées par le manque de paix, comme pour accomplir la plainte que le Seigneur nous fait entendre par son Prophète (Jérémie, XII, 19) : un grand nombre de bergers ont ravagé ma vigne. Au contraire, les provinces et les cités qui sont régies par un seul roi jouissent de la paix; la justice y est florissante et l'abondance des biens y entretient la joie; c'est pourquoi le Seigneur promit à son peuple comme un don magnifique de lui donner un seul chef et de placer un prince unique au milieu de lui. (De regimine principum, I, 2.).

Reste, il est vrai, le danger de tomber dans la tyrannie qui, étant l'opposé du meilleur, est nécessairement le pire (Ibid., I, 3). Mais d'abord on se souviendra que la tyrannie n'est pas un danger qui menacerait la seule monarchie; l'oligarchie et la démagogie sont des tyrannies à leur manière et qui, pour être celles d'un clan ou d'une foule, n'en sont pas toujours moins lourdes à porter. Si l'on dit en effet que la tyrannie d'un seul est la pire de toutes, c'est en pensant à ce que serait une tyrannie absolue ; car de même qu'un seul homme uniquement employé à assurer le bien commun, comme le roi, est la garantie de bonheur politique la plus solide, de même un seul homme uniquement employé à exploiter le peuple dans son intérêt personnel, comme le tyran, serait la source des malheurs politiques les plus effroyables. Mais il est rare qu'une pareille tyrannie se réalise avec un seul ; elle se borne le plus souvent soit à l'exploitation de quelques familles, soit à celle d'une classe plus ou moins nombreuse de citoyens, laissant ainsi tous les autres tranquilles et ne compromettant le bonheur que d'une partie du peuple ou de la cité. Au contraire, lorsque c'est le gouvernement de plusieurs qui se corrompt et devient tyrannique, le mal réside dans le gouvernement lui-même et trouble totalement l'équilibre de la cité ou du pays tout entiers. Si l'on ajoute à cela que le gouvernement de plusieurs engendre plus fréquemment des tyrannies que le gouvernement d'un seul, en raison des jalousies qui s'élèvent parmi les chefs et incitent l'un d'entre eux à éliminer les autres, on conclura que, toutes choses égales d'ailleurs, c'est encore la monarchie qui présente le moins de dangers. De deux maux, il faut en effet choisir le moindre. Or, d'une part, nous avons le gouvernement le meilleur, avec peu de risques de tomber dans le pire qui serait la tyrannie complète d'un seul; d'autre part, nous avons des gouvernements moins bons, avec beaucoup de risques de tomber dans des tyrannies dont la moindre affecterait déjà le bon ordre de l'État tout entier. Si donc la seule raison de se priver du meilleur des régimes est la crainte de la tyrannie, et que la tyrannie soit plus à craindre encore dans les régimes les moins bons que dans le meilleur, il ne nous reste plus aucune raison de ne pas choisir le meilleur : nous choisirons par conséquent le gouvernement d'un seul (De regimine Principum, I, 5).

 

 

 



27/06/2008
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