Le philosophe et la théologie
Titre: |
Le philosophe et la théologie | ||
Auteur: |
Etienne Gilson | ||
Editeur: |
Vrin |
Date de parution: |
2005 |
A classer : Histoire des idées
On peut utilement lire d’Etienne Gilson Christianisme et Philosophie et surtout Le réalisme méthodique, réédité chez Téqui en 2007.
Maintenant si vous vous intéressez à la vie intellectuelle du début du XXe siècle, achetez également Le philosophe et la théologie, Fayard 1960 pour la première édition, réédité chez Vrin.
Si vous êtes en philo plutôt réaliste et pas spécialement un inconditionnel bergsonien, vous irez dans votre lecture de l’ouvrage vers de menues contrariétés qu’il faut bien savoir surmonter pour vivre en société. Et surtout vous allez pouvoir vous laisser surprendre par un Gilson libéral de gauche, impénitent, parfaitement consensuel à notre époque.
Certes Etienne Gilson cite honnêtement Charles Péguy reprochant à la Sorbonne de 1913 de cultiver la « terreur de tout ce qui est de la pensée » (p 38). Mais pour le Gilson de 1960, Lucien Lévy-Bruhl reste « merveilleusement intelligent » (p 26), Durkhei
Les maîtres de la Sorbonne « formaient une république et (…) ils nous ont par là même permis de vivre en république, régime dont on peut penser ce que l’on veut sur le plan politique mais qui est assurément le meilleur de tous, ou plutôt le seul possible, au double plan de la science et de la philosophie. » (p 37) Bien entendu, comme on le verra plus loin, chez Gilson, on peut penser ce que l’on veut de la république à condition que ce soit du bien.
Incidemment, de ces maîtres de la Sorbonne, Gilson écrit que « leur attribuer une philosophie juive serait peindre une fausse fenêtre sur un mur » (p 29). Nous lui laissons la responsabilité d’une telle assertion dans toute son équivocité.
A la différence des maîtres sorbonnards, les disciples de saint Thomas sont nettement moins bien traités tout au long de l’ouvrage : Reinstadler, Sanseverino, Descoqs, et les thomistes en général, sont cloués au pilori sans faire dans la nuance.
D’ailleurs Gilson, parlant des persécutions qu’il a pu subir, dit que « Si Dieu m’avait fait la grâce d’enseigner saint Thomas d’Aquin dans l’ordre des Frères prêcheurs [1], j’en aurai vu bien d’autres. » (p 33)
Échappent miraculeusement au massacre les pères Mandonnet, Théry et - allez savoir pourquoi - Laberthonnière.
Nous vous proposons une lecture commentée de trois passages, sur Marc Sangnier, Jacques Maritain et l’Espagne franquiste :
1° Voyez-vous un inconvénient à ce que l’on vous parle de Marc Sangnier avec assurance sans n’avoir jamais rien lu de lui ? On voit bien que vous n’êtes pas tourné vers le peuple, vous ! (p 52) En prime le Ralliement vu par Gilson.
« Je venais d'entrer dans l’enseignement (1907) lorsque se produisit la condamnation du Sillon par le pape Pie X. C'était en 1910, j'en fus profondément affecté. Je voudrais essayer de dire pourquoi, mais je ne suis pas certain d'y réussir.
Je n'avais jamais vu Marc Sangnier, je n’ai jamais assisté à une seule réunion du Sillon, aujourd'hui encore je n'ai jamais lu un seul article sorti de sa plume. Je n'étais pas du Sillon, ni d'ailleurs d'aucun autre groupe politique, mais nous étions nombreux à nous sentir unis de cœur avec Marc Sangnier et solidaires de lui dans ses luttes. Nous savions seulement, mais c'était assez pour nous, qu'à l'encontre d'un catholicisme encore politiquement lié à l'Ancien Régime, Sangnier voulait donner en France droit de cité à un catholicisme social, tourné vers le peuple et sincèrement républicain. La politique de ralliement préconisée par le pape Léon XIII et à laquelle s'opposaient pourtant nos chefs de file, appelait une action politique de ce genre, car il devenait de plus en plus difficile, dans un pays qui semblait lié pour longtemps à une constitution républicaine, de maintenir la fiction qu'un chrétien était tenu en conscience de choisir entre l'Église et la République. Léon XIII voulait au moins que les catholiques fussent libres. Nos cœurs allaient du côté de Marc Sangnier d'un mouvement pur de toute doctrine. »
2° Critiquez-vous Jacques Maritain ? Un homme aussi capable de se mesurer avec les problèmes les plus urgents... Petit malheureux ! C’est signe manifeste que vous avez la haine de votre prochain. (pp 180 & 181)
« Celui qui s'engage dans cette voie doit s'attendre quelques inconvénients. Le premier est qu'à partir de ce moment il sera traité par les « thomistes » selon leurs propres mœurs, qui ne sont pas toujours douces. Surtout s'il est de chez nous, il peut s'attendra à devenir l'objet d'attentions particulières de la part d'intégristes dont le fanatisme théologique se double de celui dont souffrent naturellement tant de Français. Le seul thomiste de notre temps dont la pensée se soit avérée haute, hardie, créatrice, capable de se mesurer avec les problèmes les plus urgents et, pour ainsi dire, de se porter courageusement à toutes les brèches, en a été récompensé par la constante, active et venimeuse hostilité de malheureux qui n'ont rien d'autre à mettre au service de Dieu que la haine de leur prochain. Il est vrai que, d'elle-même, la grandeur leur est insupportable. »
« Il n'est pourtant pas nécessaire de lire longtemps n'importe quel livre de Jacques Maritain pour s'apercevoir qu'on a affaire avec un des tout premiers écrivains de notre temps. Assurément, notre philosophe n'est pas toujours facile à comprendre et ceux à qui sa pensée échappe sont excusables de rester insensibles à ce style toujours jailli de source et dont les inventions incessantes créent une délicieuse complicité entre la métaphysique et la poésie. »
3° Admettriez-vous la politique d’un pays qui oblige ses professeurs à enseigner la philosophie réaliste, c’est-à-dire la Vérité, alors qu’il faut manifestement leur laisser toute liberté pour inculquer aux jeunes générations le marxisme, le rousseauisme, le libéralisme, etc. ? Bref ne seriez-vous point quelque peu fasciste ? (p 183)
« Passons sur le malheureux professeur de philosophie, dans un de ces pays où l'État impose à l'autorité de l'Église, qui n'en peut mais, le renfort de sa propre police, On lui demandait quelle philosophie il enseignait. « Moi? répondit-il d'un ton surpris, le thomisme, naturellement ». On lui dit quel plaisir c'était de rencontrer un thomiste, mais, avec une légère impatience, il eut le courage de protester : « Non, non, pas du tout, je ne suis pas thomiste; mais il faut bien vivre; je ne peux pas me permettre de perdre ma chaire; je n'ai pas le choix ». Tant il peut y avoir de honte et d'abaissement lorsque, tout pourrissant ensemble, la politique, la philosophie et la religion se trouvent déshonorées à la fois. »
B. de Midelt
Annexe - Un bon remède au libéralisme gilsonien :
La recherche de la vérité, dans l’ordre naturel des choses, telle que la voit J. de Tonquédec. [2]
« Il y a plusieurs méthodes pour étudier une doctrine. Il y a d'abord la méthode historique, suivie par exemple, en ces dernières années, par nombre d'auteurs qui ont renouvelé nos perspectives sur la philosophie médiévale, et auxquels nous sommes tous grandement redevables.
Appliquée dans toute sa rigueur, cette méthode consiste à exposer les idées sans les apprécier au point de vue de la vérité, sans prendre parti sur elles, sans les adopter, ni les défendre, ni les réfuter. Assurément, une sympathie admirative peut ici n'être pas absente ; mais ce que l'on admire surtout, c'est le génie du philosophe, la hardiesse, l'ampleur, la belle ordonnance de sa construction, l'ingéniosité avec laquelle il tire parti des matériaux qu'il emploie, l'équilibre original où se combinent chez lui les influences qu'il a subies. On jouit ainsi d'une « vue du monde », Weltanschauung, comme disent les Allemands, compréhensive, cohérente, harmonieuse. Que si quelqu'un demande : « Cette vue est-elle exacte ? la seule exacte ? - car aux mêmes problèmes on ne peut donner plusieurs solutions contradictoires », l'historien se récuse. Ceci est pour lui la question réservée. Il ne dogmatise pas. Il ne s'engage pas personnellement et à fond. Il se promène en artiste dans les belles cathédrales intellectuelles, sans en préférer aucune ; il trouve à les parcourir successivement un plaisir rare, un délicieux exercice, un assouplissement de l'esprit, un moyen efficace de culture philosophique : rien de plus.
Ce point de vue n'est pas le nôtre. Pour nous, ce qui fait l'intérêt suprême d'une doctrine, c'est la vérité qu'elle contient. Nous quêtons chez les grands philosophes le pain de l'esprit. Avant d'admirer leurs brillantes réussites, nous avons besoin de vivre spirituellement, et s'ils n'ont rien à nous donner qui nous y aide, si nous ne trouvons chez eux aucun aliment assimilable, ils cessent de nous intéresser. Que l'édifice soit construit avec art, s'il est vide de vérité, que nous importe ! Quid est veritas ? »
Notes :
[1] : Les Frères prêcheurs : Il s’agit des dominicains.
[2] : De TONQUEDEC Joseph, La critique de la connaissance, éd Beauchesne 1929, p III
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