Note sur le Bien commun politique
Titre: |
L'Éthique de | ||
Auteur: |
Leo J Elders | ||
Editeur: |
L'harmattan |
Date de parution: |
2006 |
Ce chapitre est extrait de Elders Leo J., L'Éthique de
La doctrine du Bien commun de
Les lois doivent s'ordonner au Bien commun. Mais que signifient précisément les mots « Bien commun », expression que S. Thomas emploie quelque trois cent soixante-dix fois dans ses oeuvres ? Laissant de côté les énoncés qui disent que Dieu est le Bien commun de l'univers et de l'homme, nous considérerons le sens des mots en relation avec la société humaine. Une société humaine a sa propre fin qui est désignée par les termes « le Bien commun ». Au sein de la société politique, il existe des sociétés ou des communautés qui poursuivent un but plus particulier, comme les activités culturelles, la promotion d'entreprises économiques ou le sport. L'État est considéré comme une société parfaite qui rend possible pour l'homme de développer totalement ses capacités. L'homme est un être social et un animal politique qui peut atteindre sa pleine existence seulement avec les autres et avec leur aide, et ainsi il doit son bien-être et son niveau de culture à la communauté.
Il s'ensuit qu'on ne peut opposer le bien du citoyen à celui de la communauté, puisque le bien de l'individu peut seulement être atteint au sein de la communauté. De plus, selon sa vraie nature, l'homme vit avec les autres ; il doit les bien traiter et les aider.
Le bien-être ou le Bien commun de la société n'est pas une chose en soi à côté du bien des citoyens. C'est une unité d'ordre qui est enracinée dans le bien de ses membres et qui consiste en beaucoup d'éléments. En tant que bien de tous ceux qui vivent dans une certaine société, c'est la fin exhaustive de leurs activités. Cette fin n'existe pas dès le début dans sa totalité, mais elle est poursuivie et réalisée seulement en partie. Une communauté peut exister seulement quand ses membres tendent au Bien commun.[1] Cela est évident quand on considère ce qu'il comprend, c'est-à-dire :
a) la vie et la santé, ainsi que le développement corporel et spirituel de ses membres ;
b) les activités des membres en vue du but commun dans le domaine de la vie sociale et politique ;
c) la somme des institutions, lois, ordonnances et biens matériels qui sont nécessaires ou au bénéfice de la vie de tous.
Le Bien commun est une fin et donne à chaque société son sens. S. Thomas va même jusqu'à dire que les membres singuliers d'une communauté, en accord avec leur nature, aiment le bien du tout plus que leur propre bien[2]. Cela doit être compris de l'ordre originel dans lequel était placé le premier homme. Dans la situation actuelle de l'humanité, beaucoup d'hommes poursuivent leur propre bien-être limité plus que le bien de toute la société. La plupart expérimentent même une opposition entre leur bien-être personnel et les objectifs de la communauté. En fait, cependant, on ne peut agir pour ou contre le Bien commun sans promouvoir ou nuire à ses propres intérêts privés. Quand on travaille en faveur de ses intérêts dans le cadre de la communauté, faisant ce qui est juste, alors on apporte sa contribution au Bien commun.
Le Bien commun est un concept difficile puisqu'il semble renvoyer à quelque chose d'insaisissable, comme une fin exhaustive, faite de composants concrets. Outre ces derniers, il comprend également la collaboration des citoyens en vue de la sécurité et du bien-être de tous. Le bien-être de l'individu n'est atteint que quand il est incorporé à celui d'une communauté plus grande. Le texte a en vue une société dans laquelle le citoyen est réellement chez lui. Les États modernes, cependant, ont développé un grand nombre de règles complexes et de lois qui souvent aliènent les citoyens. Cela rend plus difficile de bien comprendre la position de S. Thomas au sujet du Bien commun[3]. De plus, la montée de l'individualisme fait que les gens se demandent jusqu'à quel point ils sont des êtres sociaux et doivent ordonner leurs activités au bien commun. Ce phénomène remonte aux derniers siècles du Moyen-Âge, où une transition commença à prendre place vers une façon de penser plus individualiste, qui trouvait son expression et sa défense dans le nominalisme. L'individualisme voit l'homme comme un être isolé et insiste sur les droits de l'individu sur, voire contre, ceux des autres. L'image d'un monde dans lequel une place fixe a été assignée à l'homme fut remplacée par
Ces changements peuvent être observés dans la façon de voir les droits. Dans la tradition ancienne comme pour S. Thomas, un droit signifiait en premier lieu la cause juste (res iusta), et en second lieu la connaissance par laquelle on connaît ce qui est juste, et pour finir le droit qui est administré. Mais, dans la pensée moderne, un droit est vu comme le pouvoir qu'on a sur ce qui appartient à quelqu'un, c'est-à-dire le pouvoir de disposer des choses et des personnes. Thomas Hobbes identifie même le droit naturel avec la liberté[4]. John Locke a élaboré la théorie de l'individu qui, comme tel, n'est pas en relation avec la vie au sein de la société politique. Il soutient que le citoyen peut acquérir des biens et accumuler des richesses d'une façon illimitée, sans se préoccuper des autres.
Le concept thomasien de l'État comme société politique parfaite, et celui du citoyen comme personne, sont différents des concepts que soutiennent certains auteurs modernes qui emploient les mêmes termes. Jacques Maritain, par exemple, voit la personne humaine comme un sujet autonome avec des droits propres, antérieurs à la société.
Influencés par l'individualisme moderne, certains auteurs disent même qu'historiquement et logiquement l'individu précède l'État, tandis que S. Thomas considère l'homme du point de vue de sa fin dernière, c'est-à-dire que, en raison de sa nature, l'homme est destiné à une vie en communauté. Mais, pour beaucoup d'auteurs modernes, l'État est une institution qui dépend des décisions libres de ses citoyens et a pour seule tâche d'organiser la cohabitation humaine[5]. Quand des circonstances favorables pour la vie du citoyen ont été atteintes, l'État a accompli sa mission. L'Aquinate, d'un autre côté, raisonne à partit de la nature sociale de l'homme et voit l'homme tel qu'il se situe dans l'ordre naturel des choses. L'homme n'est pas un sujet de droits antérieurement et indépendamment de son incorporation à l'État. S. Thomas considère l'homme en relation avec sa perfection morale et le voit, au sein de la société, appelé à appartenir au peuple choisi de Dieu. La société n'est pas seulement un réquisit[6] pour le plus grand bien-être des citoyens individuels ; la vie dans la communauté humaine mène à la perfection de ceux qui vivent ensemble. L'État et les lois qui concernent la société comme un tout ne sont pas un produit du libre choix des citoyens, mais dérivent de la nature sociale de l'homme. C'est pour cette raison qu'on ne peut réduire le Bien commun aux moyens de promouvoir les intérêts des individus ni à la somme des biens matériels d'une société. Le point de vue de l'éthique individualiste doit être dépassé.
[1] Pour autant les membres de la communauté ne tendent pas d'eux-mêmes - sauf exception - au bien commun. L'Autorité est précisément constituée pour les y ordonner. (ndle)
[2] ST, Ia-IIae, Q. 109, a. 3.
[3] Voir L. ELDERS, "Algemeen welzijn als doel-en ordeningsprincipe van het maatschappelijk leven", dans E. De Jonghe et L. J. Eiders (éd.), De beginselen van de sociale leer van de Kerk, Leuven-Amersfoort, 1994, pp. 93-109.
[4] Leviathan, I, chap. 14: « Le Droit de Nature, que les auteurs appellent communément ius naturale, est la Liberté que chaque homme possède d'employer son propre pouvoir comme il le désire lui-même. »
[5] Voir A. F. UTZ, Thomas von Aquin. Deutsche Thomasausgabe, vol. 18bis, Bonn, 1987, pp. 448-498.
[6] Réquisit : ce qui est exigé en vue d'une fin donnée. Condition nécessaire d'un effet. (ndle)
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