Salon de lecture

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Le Siècle de 1914

Le Siècle de 1914

 

 

Titre:

Le siecle de 1914

Utopies, guerres et revolutions en Europe au XXe siecle

Auteur:

Dominique Venner

Editeur:

Pygmalion

Date de parution:

Avril 2006

 

Voici une synthèse magistrale du XXème siècle européen, ce qui ne saurait nous étonner venant d'un auteur comme Dominique Venner. Il analyse ce siècle comme le terrain d'affrontement de 4 idéologies principales: le démocratisme américain, le communisme, le fascisme et le national-socialisme. Car, comme il le rappelle dans l'introduction, la Révolution Française a rompu avec l'ancien pragmatisme politique en ouvrant l'ère contemporaine des masses, avec le premier rôle donné aux idéologies (nouvelles religions séculières) et leur consubstantiel cortège de totalitarismes.

Ce n'est pas le moindre mérite de ce livre que de nous rappeler la nature aristocratique de la majorité des pays européens, pas encore totalement dénaturés par le séisme révolutionnaire, à l'aube du XXème siècle. En effet, histoire enseignée par la République Française oblige, c'est un fait généralement mal connu, et l'on oublie facilement que la France et ses institutions restaient alors une exception en Europe. S'appuyant sur une très stricte exigence éthique personnelle chez les nobles, qui servent de modèles à l'ensemble de la population, ces régimes se caractérisent, non par la démocratie, mais par une absence totale de corruption politique (au moins en Allemagne de 1871 a 1918), des politiques sociales largement en avance sur la France, une exaltation de la jeunesse hors des villes et des usines, comme en témoigne le mouvement des Wandervogels… Même la Russie tsariste, régime pourtant plus autocratique et centralisateur qu'aristocratique, a amorcé des réformes à la fin du XIXème siècle.

Personne avant 1914 ne pouvait prévoir l'ampleur de la guerre qui allait éclater, et encore moins qu'elle ouvrait ce que l'auteur appelle une "nouvelle Guerre de Trente Ans", qui s'étendra jusqu'en 1945 dans ses conséquences ultimes et scellera le suicide européen. Si la Grande Guerre n'est pas à l'origine de la "guerre totalitaire", origine qui est à chercher dans la Révolution Française jetant des peuples entiers (conscription) dans la fournaise au nom de principes idéologiques prétendument universels, elle en est incontestablement la première manifestation achevée de cette ampleur! Ce sont les Etats-Unis, seuls grands vainqueurs de ce premier conflit, qui ajouteront au jusqu'au-boutisme, en vigueur dans toutes les parties (le "nationalisme haineux", autre legs de la Révolution Française), leur idéologie messianique et manichéenne, ainsi que le processus de criminalisation des vaincus qui aura cours à Versailles et davantage encore, plus tard, à Nuremberg. Au départ, malgré de très nettes convergences d'intérêts avec les capitalistes anglais, les Etats-Unis restent neutres, ce qui correspond à la volonté générale des citoyens, ressortissants européens des différentes parties belligérantes… Mais T.W. Wilson, élu président en 1912, est porteur d'une idéologie qui attribue aux Etats-Unis le rôle de sauveurs de l'humanité, apportant bonheur et paix au monde, et jette ainsi les bases des politiques extérieures suivies par ses successeurs, de F.D. Roosevelt à G.W. Bush. Il réussira à faire accepter à l'opinion le principe d'intervention, à la faveur de la malheureuse décision allemande de reprendre la guerre sous-marine à outrance, qui menaçait désormais les buts économiques américains. L'appel à l'arbitrage américain à la fin de la guerre "revient à confier le sort de l'Europe à la grande puissance qui s'était édifiée dans le rejet de sa tradition historique". Wilson réussit à imposer la destruction des organisations politiques des empires centraux, ainsi que son idée de Société Des Nations, supranationale et garante du libéralisme politique et économique mondial.

Un autre exemple pervers, et aux funestes conséquences, du machiavélisme de cette guerre totalitaire est l'autorisation par le général Ludendorff de laisser Lénine et ses compagnons traverser le pays dans un train spécial, de Suisse en Russie, pour y introduire "les bacilles de la peste". Cet objectif sera atteint, voire dépassé, par l'instauration d'un régime idéologique nouveau, fondé sur la terreur généralisée et appelant à la révolution mondiale. Staline, génie pragmatique, imposera aux "idéalistes" (notamment Trotski) la priorité chronologique de "la construction du socialisme dans un seul pays". Pour cela il réussira à asservir la population avec une industrialisation accélérée notamment dans le domaine métallurgique, au prix d'une surexploitation des ouvriers et une baisse de leur niveau de vie réel, la collectivisation de l'agriculture, réduisant toute marge de liberté, et enfin l'instrumentalisation du nationalisme grand russe, en liquidant ou russifiant les minorités. Cela s'accompagnera de massacres, exécutions massives et déportations, qui culmineront dans la famine organisée en Ukraine en 1933, où les céréales pourriront sous bonne garde et 6 millions d'ukrainiens mourront en 9 mois (mais ces victimes n'auront jamais la même publicité que d'autres martyrs d'une autre idéologie…).

Opposé au libéralisme bourgeois et au socialisme, nourri par la frustration populaire d'une paix (victorieuse) volée, le fascisme se développe en Italie dans le sillage esthético-romantique de l'occupation de Fiume par Gabriele D'Annunzio, et poussé, comme pour les corps francs en Allemagne, par toute une classe de jeunes anciens combattants, nostalgiques de la solidarité communautaire et patriotique qu'ils ont éprouvée dans les tranchées. Suite à la Marche sur Rome du 27 au 31 octobre 1922, véritable "coup d'état légal", Mussolini obtient la charge de constituer un gouvernement, puis les pleins pouvoirs. A partir de là, il conduira sa réforme de la société par une reprise en mains totale par l'Etat, qui restera toujours distinct du Parti et au-dessus de celui-ci. Cet Etat, quelque peu bureaucratique, remplacera les syndicats par des corporations qui lui sont soumises, réformera l'Ecole et l'Université, procurera une législation sociale que nombre de pays européens peuvent lui envier, résorbera le chômage et redressera l'économie. Ces résultats acquis en 20 ans de paix par le volontarisme fasciste, dans un pays sans vieille tradition nationale ou étatique, seront ruinés par l'impréparation d'une guerre que Mussolini engagera dans le mauvais camp (cf infra).

Vaincu, son empereur s'enfuyant sans même abdiquer, le Reich de 1918 connaît une situation assez similaire à celle de la France en 1870… Mais au lieu de la réaction bourgeoise, veule et frileuse, que la France a opposée à la Commune, le chaos allemand suscitera un élan autrement plus viril: celui des Corps Francs. Après avoir sauvé la naissante République de Weimar contre les rouges et protégé ses frontières orientales, ces aventuriers fougueux, issus eux aussi des tranchées, se sentiront toujours trahis par le régime. C'est dans ce contexte, encore aggravé par l'occupation française de la Ruhr et l'inflation surréaliste qui en découle, qu'Adolf Hitler entre en scène avec le "Parti National-socialiste des Travailleurs Allemands", dont il est devenu rapidement le chef. Dès le début, il cherche à convaincre les masses pour combattre les rouges sur leur propre terrain. Après le putsch raté du 9 novembre 1923 à Munich, il écrit en prison "Mein Kampf", qui nous renseigne sur sa doctrine. Aujourd'hui, il est plus que courant de confondre fascisme et nazisme: on le doit historiquement à la très efficace propagande stalinienne qui, reprenant l'antifascisme initié en 1923 par le Kominterm, l'amalgamera avec le désormais dangereux voisin nazi à partir de 1933, se rangeant du même coup, sans complexe et provisoirement, sur la ligne des vertueux "pays libres". Et ce, notamment à l'occasion de la guerre d'Espagne... Pourtant, malgré un terreau sociologique commun (cf supra), la doctrine de Mein Kampf est bien plus éloignée du fascisme, que du communisme. En effet, contrairement à Mussolini qui voulait réformer la société par l'Etat, le national-socialisme hitlérien et le communisme sont deux matérialismes, pour lesquels l'infrastructure, économique dans un cas, raciale dans l'autre, détermine la superstructure. Influencé par le scientisme et le darwinisme du XIXème siècle, Hitler élaborera un système autour du déterminisme de la race biologique, sensée justifier par elle-même la supériorité de la civilisation aryenne. De là, il s'enfermera toujours plus dans un antisémitisme maladif et un pangermanisme obtus. Même si l'auteur distingue ces principes doctrinaux d'autres valeurs exogènes qui ont assuré la vigueur du IIIème Reich ("abnégation, fidélité et héroïsme"), l'étude de cet hitlérisme fondamental est incontournable pour comprendre cette période, compte tenu du charisme personnel et du pouvoir qu'Hitler a exercé. Dominique Venner qualifie ces deux pensées systémiques (communisme et hitlérisme) de "perversion" du rationalisme des Lumières, expression à laquelle je préférerais celle d'extension logique, certes encore virtuelle au XVIIIème, mais bien passée en acte, moins de 2 siècles plus tard… Parallèlement à une très attractive politique nataliste ("prêts matrimoniaux" sans intérêt et dont le remboursement décroît en fonction du nombre des enfants) et une politique sociale ambitieuse qui préfigure les futurs Etats Providence, l'Allemagne nazie réussit avant Keynes à opérer une relance de l'économie par la consommation et à enrayer le chômage. Ces résultats sont loin de pouvoir s'expliquer par la seule relance de l'industrie d'armement, comme on l'a dit. La suppression des barrières de classes se distingue de l'égalitarisme soviétique en ce qu'elle met en place une élite méritocratique, sûrement plus conforme à l'esprit prussien. Politiquement, le Führer va asseoir un pouvoir personnel charismatique et sans limite, après avoir liquidé et l'opposition conservatrice, et l'aile révolutionnaire de son parti, au cours de la Nuit des Longs Couteaux (30 juin 1934).

Concernant le déclenchement de la deuxième Guerre Mondiale, Hitler et Staline sont les deux seuls inégaux acteurs: tous les autres, les démocraties d'une part et, plus dramatiquement encore, Mussolini n'ont fait que subir. Ce dernier jouissait au départ d'une attitude assez bienveillante de la part de la France, et plus encore de l'Angleterre, culminant avec le "front de Stresa" pour contrer la politique allemande. Car il avait toutes les bonnes raisons, par ailleurs, de craindre un trop puissant voisin germanique, et s'est opposé tant qu'il pouvait à l'Anschluss. Tout basculera en 1935 quand Mussolini montrera des prétentions coloniales en Ethiopie et il sera alors rejeté par la propagande "anti-fasciste" du Komintern dans les bras d'Hitler. Ce même Hitler, quant à lui, restera jusqu'à la fin aveuglé par son étroit matérialisme raciste… Dans un premier temps, il ne doutait pas qu'il aurait les mains libres à l'ouest pour conquérir sur l'est l'espace vital nécessaire au peuple allemand pour accéder au rang de puissance mondiale, moins en raison de la faiblesse des démocraties qu'au nom d'une supposée parenté germanique avec les Anglais, et même avec les Américains! Ces premières désillusions l'enfonceront dans son antisémitisme (si ces pays amis réagissent de la sorte, c'est nécessairement parce qu'ils sont "enjuivés") qui engendrera un cercle vicieux avec la réponse des Juifs, notamment américains. Ensuite, il sera incapable de prévoir, ni même de comprendre la réaction nationale de peuples nordiques comme l'Angleterre, la Hollande ou la Norvège. Plus encore, il ne comblera jamais certaines attentes et ne proposera aucun projet plus globalement européen, comme en témoigne sa constante réticence pour ouvrir la Waffen SS aux non allemands, puis aux races non nordiques, ce qui finira par se faire sous la pression des événements, mais à une échelle toujours maîtrisée et réduite. Venner illustre cette faillite par le tragique et emblématique épisode du Général Vlassov, dont le ralliement ne sera jamais pleinement exploité par Hitler, qui avait déjà dogmatiquement classé les Russes parmi les "races inférieures"… Après avoir rappelé l'esprit de sacrifice du peuple allemand, sa discipline et son sens aigu de la fidélité, héritage des réformateurs prussiens de 1813, puis les souffrances qui lui ont été imposées (bombardements de terreur, exode de 8 millions d'Allemands devant l'avancée rouge qui avait déjà tué 3 millions de civils et violé 2 millions de femmes, « dénazification » ou lavage de cerveaux collectif…), le jugement de Venner est sans appel : « le peuple allemand ne méritait pas un tel guide » !

Beaucoup plus habile et machiavélique est la politique suivie par Staline! Se sentant d'abord menacé par une éventuelle nouvelle coalition des capitalismes occidentaux, le Komintern a fait suivre aux différents Partis Communistes une ligne pacifiste et antimilitariste. Dans ce contexte, l'antifascisme reste très local et secondaire, l'Italie ne menaçant absolument pas l'URSS. Tout change quand l'ancien allié allemand (traité de Rapallo en 1922) passe au national-socialisme! Le mot d'ordre est alors de se rallier au front des démocraties contre les « fascismes »: dans ce virage à 180°, on verra les dirigeants communistes cesser du jour au lendemain leurs attaques contre les "social-traitres" pour rallier des politiques de Front Populaire (cf Paul Rassinier, les vrais responsables de la seconde Guerre Mondiale). Pour mener à bien cette campagne de manipulation, faire passer pour horrible le régime fasciste encore respectable (malgré l'antifascisme relayé par les opposants italiens exilés) et, du même coup, détourner l'attention des véritables horreurs soviétiques, Staline s'appuiera sur un agitateur de génie: Willy Münzenberg (tous les éléments biographiques sur ce personnage mal connu sont les bienvenus!). Celui-ci usera et abusera de la fibre humanitaire pour émouvoir dans son sens tous les gogos démocrates, à l'occasion de la guerre d'Espagne. Après avoir ainsi allumé le feu à l'ouest (contre la volonté première d'Hitler!), Staline crée encore la surprise en signant le pacte germano-soviétique en août 1939! Il aura ainsi brisé la « coalition capitaliste » qu'il craignait et ramené, par les clauses secrètes du pacte, l'URSS aux frontières de la Russie d'avant 1914, en attendant que Roosevelt et Churchill lui laissent étendre son emprise sur toute l'Europe orientale…

Les Américains exploiteront une fois encore cette « victoire des Démocraties » (incluant l'URSS !...) pour anéantir ce bloc de puissance européenne qu'est l'Allemagne, constante menace contre la marche vers le « meilleur des mondes » libéral. Pour cela, on culpabilisera un peuple entier par la dénazification (questionnaire systématique, 13 millions de dossiers instruits), et on éradiquera la caste militaire, associée à tort au régime (comme en témoigne la constante méfiance réciproque entre la Wermacht et Hitler, jusqu'à l'attentat raté de Von Stauffenberg). Les bases d'un monde libéral et entièrement ouvert au commerce américain ont déjà été définies dans la « Charte de l'Atlantique », signée par Roosevelt et Churchill le 12 août 1941, alors que les Etats-Unis n'étaient pas encore en guerre. Pour les appliquer, on aura recours, à la fin du conflit, à une foule d'institutions internationales, plus étoffées que la squelettique SDN (ONU, FMI, GATT…). Cette idéologie du libéralisme marchand se trouvera en concurrence avec son pendant communiste durant près de 50 ans, jusqu'à l'effondrement endogène du géant soviétique. Cette victoire sans gloire consacrera un matérialisme consumériste et technologique florissant mais laissera un vide individualiste, accompagnant la perte de repères communautaires et de tout idéal supérieur, vide que combleront artificiellement la consommation, la bureaucratie, les spectacles et le sexe, la « cage d'acier » de Max Weber. L'interpénétration des systèmes communiste et libéral, la convergence de leurs fins apparaît très clairement dans la « révolution » de mai 68, dirigée non pas contre la société marchande, comme peuvent en témoigner les parcours individuels ultérieurs des soixante-huitards, mais bien contre les derniers obstacles civilisationnels qui pouvaient encore entraver ce matérialisme libéral. Finalement, c'est le cosmopolitisme américain qui réalisera le rêve communiste et internationaliste d'une Humanité uniforme et universelle, par la mondialisation du marché et la généralisation de l'homo oeconomicus comme seul modèle humain. L'Europe n'aura jamais réussi à se libérer de cette tutelle et toute tentative de constitution d'une Europe politique, autre qu'exclusivement libérale et marchande, sera torpillée.

On sera plus réservé sur le paganisme antichrétien de l'auteur et sa philosophie nominaliste qui en est le corollaire. Ainsi, dès la page 18, il néglige la révolution philosophique fondamentale apparue avec la Renaissance et les Temps Modernes, ne voulant y voir qu'une continuité avec la philosophie scholastique médiévale… S'il est vrai que le christianisme a mis fin à une certaine sacralisation païenne de la nature (il n'y a plus de « bosquets sacrés » dans la Chrétienté, ou alors sanctifiés par une « récupération » comme pour de nombreux lieux ou sources…), il est faux de dire que le monothéisme est responsable d'une désacralisation totale en Europe ! Ainsi, décréter qu'il est « écrit dans la Bible qu'il est licite d'user et d'abuser de la nature » (page 384, c'est moi qui souligne), c'est tout simplement méconnaître la théorie (notamment thomiste) de la vertu, conforme à l'ordre naturel, qui doit régler cet usage. Sans même parler de la spiritualité d'un saint François d'Assise… De même, si l'on adhère parfaitement à la critique de l'indigence congénitale de la droite française, ainsi qu'à celle de la trahison réactionnaire de Franco, l'analyse des causes, toutes rattachées au catholicisme, semble plus discutable. Car enfin, on a du mal à comprendre l'apparent engouement de l'auteur pour le gallicanisme (pages 349 et 351) par exemple quand, par ailleurs, il cerne parfaitement l'évolution absolutiste et centralisatrice de l'Etat français moderne… S'il est vrai que la monarchie centralisatrice française a finalement accouché de la Révolution après avoir castré ses nobles (page 32), il faut quand même noter que cela s'est fait contre l'organisation féodale de la Chrétienté et pas avant la Renaissance (ou, à la limite, Philippe le Bel) : si le catholicisme contenait en germe cette décadence, on aura passé un bon millénaire sans s'en rendre compte… Concernant la « droite la plus bête du monde » (voir « une droite vaincue pour l'éternité », pages 349-351), le constat est juste mais l'analyse qui voudrait en faire remonter les causes au « carcan scolastique » est peu convaincante, minimisant, une fois encore, l'impact de la révolution cartésienne, sous prétexte qu'on pratiquait déjà l'abstraction au Moyen Age (comme dans toute pensée digne de ce nom, mais c'est tout de même différent de l'idéalisme ou du subjectivisme !). La critique de l'évolution stérilisante du maurrassisme, jusqu'à son ralliement à l'Union Sacrée en 1914, est évidemment pertinente. Mais l'expliquer par le seul catholicisme qui régnait dans les rangs de l'Action Française, c'est un peu court : en l'occurrence, la démonstration que conduit Jean de Viguerie (Les deux patries) d'une perversion de l'idée de patrie, passée d'une réalité charnelle à une abstraction idéaliste concomitamment à l'apparition d'un Etat moderne et centralisateur, semble plus féconde.

Pour lever l'ambiguïté du mot « totalitarisme », perverti et récupéré pour justifier moralement le démocratisme libéral, l'auteur veut y substituer celui « d'idéocratie », défini comme un pouvoir politique fondé sur une idéologie et régentant la totalité de la vie sociale en empiétant sur la sphère privée. Cela englobe évidemment toutes les idéologies du XXème siècle, y compris le démocratisme wilsonien qui se réduit à un système oligarchique dans lequel le pouvoir est détenu par les minorités de décideurs qui ont les moyens de manipuler l'opinion des masses. Aujourd'hui, ce libéral-mondialisme américain laisse apparaître quelques fissures avec l'émergence de la Chine ou le réveil islamique, comme l'a analysé Samuel Huttington (Le choc des civilisations), même si on peut reprocher à ce dernier de vouloir englober dans un même groupe civilisationnel l'Europe avec les Etats-Unis et Israël. Car, rappelons-le, l'Europe subit cette idéologie, étant même handicapée, pour faire face sur son sol à ce choc des civilisations, par l'ethno masochisme induit ! Même si ce peut être vu aussi comme un retour des choses puisque, après un détour outre-Atlantique, c'est finalement l'idéologie des « Lumières » qui s'impose, dans laquelle, loin d'y voir un unique courant de désacralisation humaniste, Dominique Venner voudrait distinguer une part tolérante et relativiste (Montesquieu), d'une autre, universaliste et dogmatique… Quoi qu'il en soit, cette utopie des Lumières est contestée à la fin du XXème siècle sur 3 points : discrédit du progrès, critique de l'hyper individualisme et érosion de l'universalisme. La religion matérialiste du « progrès », commune à toutes les idéologies, a fait place dans sa réalisation actuelle à un amoncellement de menaces, du gaspillage écologique de la planète aux manipulations génétiques prométhéennes. L'exaltation narcissique de l'individualisme a non seulement explosé les repères communautaires traditionnels (et notamment la famille) mais conduit de plus en plus à une névrose généralisée dans nos sociétés, dénoncée même (cruel retournement !) par les psychanalystes… De tout cela, on en est arrivé à remettre en cause, à la suite de Claude Lévi-Strauss, le dogme ethnocentriste et universaliste du progrès, pour reconnaître la multiplicité des cultures qui façonnent les individus. Ainsi, en France, on commence même à enfreindre le tabou universaliste par excellence en « interprétant les « questions de société » de l'immigration selon des catégories verticales, ethniques ou nationales, qui paraissent plus convaincantes que les autres »… Se référant volontiers à Spengler et rappelant que, comme l'a montré ce XXème siècle, tout peut basculer rapidement de manière totalement imprévisible, l'auteur analyse la situation actuelle en termes de fin de cycle : l'Europe sera dans l'obligation, pour survivre dans les ruines de l'effondrement généralisé que peut laisser prévoir à court terme l'actuelle convergence des catastrophes, de susciter une élite déterminée et exemplaire qui saura opérer un retour à la culture européenne originelle et « civiliser les rebelles et les violents qui auront ébranlé ce qui doit disparaître ». Puisse-t-il être entendu !

 

Georges Cadoudal

 

Bibliographie

- Du même auteur: Histoire d'un fascisme allemand, Pygmalion, 1996, sur les corps francs ; Histoire et tradition des européens, Editions du Rocher, 2002 ; l'auteur est également directeur de la Nouvelle Revue d'Histoire, bimestrielle.

- Ernst Von Salomon: les cadets, Livre de Poche, 1966, révélateur de l'esprit prussien au début du siècle ; les réprouvés, Plon, 1931 (aussi actuellement réédité), sur sa participation aux corps francs.

- Paul Rassinier, les responsables de la seconde guerre mondiale, Nouvelles Editions Latines, 1967, sur les prémisses diplomatiques de la guerre, écrit par un authentique pacifiste, sans arrière-pensée et exempt de manipulation, ce qui est rare à son époque!

- Les Waffen SS, Henri Landemer (pseudonyme de feu Jean Mabire), Balland, 1972, sur l'internationalisation (toujours contrôlée) de la Waffen SS, parfois éloignée des rêves européens d'un Saint Loup…

- Un témoignage lucide sur son époque : Pierre Drieu la Rochelle, Journal 1939-1945, NRF, 1992. Malgré son engagement dans la Collaboration, l'auteur n'a jamais été dupe sur l'écart qui existait entre ses aspirations européennes et l'esprit nazi allemand.

- Sur la convergence des matérialismes communiste et libéral : Les illusions de l'Occident, Polin et Rousseau, ainsi qu'une réflexion sur la nature du totalitarisme moderne, Le totalitarisme, de Claude Polin seul, Que sais-je n°2041, 1987 ; sur le triomphe contemporain du libéralisme non seulement sur la société mais également dans l'Eglise, les illusions républicaines, PSR, 1995, des mêmes auteurs.

- Sur l'imbécillité atavique de la droite française, on lira avec profit (et esprit critique!) la droite piégée, de Yves-Marie Adeline, Ad Usum, 1997 ;

- Jean de Viguerie, les deux patries, Dominique Martin Morin, 1998



08/10/2007
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