Salon de lecture

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Nature de la société politique

 

Titre:

Nature de la société politique

Auteur:

Bernard de Midelt

Editeur:

REP

Date de parution:

2003 ( ?)

 

Trouvé sur Scriptoblog

 

 

Au début de cette décennie, un monsieur Bernard de Midelt fit paraître une étude de science politique intitulée « Nature de la société politique ». Directement inspirée par la philosophie réaliste, telle qu’elle a été élaborée par Aristote et formalisée parfaitement par Thomas d’Aquin, il s’agit d’un texte catholique, visant à réaffirmer clairement la vision du monde catholique traditionnelle dans toutes ses dimensions. C’est donc, d’abord, un texte qui doit être saisi à l’intérieur du monde catholique, et dont il est clair qu’il a été écrit pour des lecteurs auprès de qui le référent catholique fait autorité.

Pour autant, il est intéressant d’étudier ce texte, parce qu’il est intéressant de connaître la vision du monde catholique dans ses prolongements politiques. Même si l’on n’est pas catholique, il est toujours intéressant de comprendre comment pensent les catholiques – qui restent, en France, théoriquement majoritaires (si tant est qu’on considère encore catholiques les Français moyens adeptes de la Star Academy…).

Pour bien connaître la société politique telle qu’elle est vue par les catholiques, il faut, nous dit Bernard de Midelt, en rechercher les principes constitutifs – ce qu’en philosophie thomiste, on appelle les causes. Encore faut-il comprendre exactement ce qu’on entend par là.

 

1 – La vision du monde catholique

 

Il existe fondamentalement trois principales manières de voir le monde. Si l’on nomme ces manières selon les noms qu’elles portent désormais dans la plupart des cas :

- La manière religieuse (au sens pris par la religion depuis l’autonomisation des autres champs de la pensée à l’égard du religieux) : hiérarchie des êtres particuliers et multiples (philosophie réaliste) organisée à partir soit de l’Etre unitaire (monothéisme), soit de la hiérarchie du monde supérieur des formes pures (polythéisme) ; dans cette vision du monde, la Vérité engendre le monde ; (1)

- La manière libérale/bourgeoise : non hiérarchie des êtres particuliers et création des formes à partir des êtres particuliers (philosophie nominaliste et ordre marchand) ; dans cette vision du monde, le monde engendre la Vérité ; (2)

- La manière hégélienne (marxiste ou non) : hiérarchie dynamique des êtres particuliers à travers le conflit créateur de l’Etre dans son unicité (dialectique) ; dans cette vision du monde, la Vérité préexiste au monde mais seul le monde la fait advenir dans le monde. (3)

Toutes les visions du monde particulières résultent fondamentalement, dans leurs racines profondes, soit d’une de ces « manières de voir » fondamentales, soit de la combinaison de deux de ces « manières de voir ». La vision du monde catholique (Thomas d’Aquin) est probablement la version chimiquement pure de la première « manière de voir », la manière religieuse. Et Bernard de Midelt parle précisément de cette vision catholique.

Dans cette vision, les principes constitutifs de l’Etre sont universels parce qu’unitaires, mais particuliers parce que divers. Ils sont donc à la fois divers selon les réalités, mais identiques sous un certain rapport de la réalité à elle-même. Ce couple unité/diversité est rendu intelligible par la notion d’analogie, notion fondatrice de la philosophie réaliste.

L’analogie permet d’englober dans la même catégorie des êtres différents dans leur complexion d’ensemble, mais possédant un rapport d’univocité ou d’équivocité sur un certain plan du raisonnement. Ce rapport permet, sur le plan considéré, de rendre signifiante et donc opératoire la catégorie créée par la catégorisation commune des êtres différents.

Comment ce plan de l’analogie est-il constitué ?

Ce sont les causes qui produisent l’être particulier en générant le réseau de catégories auxquels il se rattache. Il y a quatre types de causes : de quoi (pierres/maison), par quoi (arbre/fruit), qu’est-ce (arbre en soi, maison en soi) et en vue de quoi (pour les fruits, pour habiter dedans).

Pour simplifier, on dira que la question « de quoi » et la question « qu’est-ce » renvoient aux causes intrinsèques. Par exemple, une table a comme cause « de quoi : le bois dont elle est faite », et « qu’est-ce : un objet présentant la forme d’une table ». C’est la matière qui définit l’individualisation de l’être (de quoi ? le bois), mais c’est la forme qui détermine la matière en spécifiant l’espèce de l’être particulier (qu’est-ce ? une table). Un être résulte donc de la rencontre de deux causes intrinsèques : la cause matérielle et la cause formelle, qui agissent en interaction réciproque.

La cause dite efficiente d’un être particulier est celle qui lui confère sa forme, c'est-à-dire que c’est, pour simplifier, l’acteur (ou l’action) qui va déterminer la cause formelle. Par exemple, un bûcheron qui coupe du bois ne crée pas la table, il n’en est pas la cause efficiente. Mais l’ébéniste qui donne sa forme de table au bois est la cause efficiente. C’est par son action que la table est une table, car c’est lui qui confère sa forme à la matière.

Les causes extrinsèques, « par quoi » et « en vue de quoi » complètent les causes intrinsèques pour constituer le réseau analogique qui définit les êtres particuliers. Si les causes intrinsèques insèrent les êtres dans la spatialité, les causes extrinsèques les positionnent dans la temporalité.

Les causes extrinsèques constituent un enchaînement logique, le « par quoi » d’une cause aval étant le contrecoup du « en vue de quoi » de la cause amont. On dit que l’être créé par la cause productrice constitue la cause finale de cette cause productrice (son « en vue de quoi » définitif), et on répute que la cause efficiente est « le bras séculier de la fin », c'est-à-dire que la cause qui marie la forme et la matière rend l’être particulier parfait sous l’angle de la production de sa cause finale.

La conclusion de cette vision du monde, en termes pratiques, est qu’une action doit être entreprise si et seulement si on peut établir clairement qu’elle est la cause efficiente d’une cause finale précise, et dont la justification est démontrée au regard des fins dernières de la vision du monde elle-même.

 

2 – Application de la vision catholique du monde à la société politique

 

La société n’est pas une chose. Elle ne doit donc pas être réifiée. Il faut admettre qu’elle résulte de l’action commune de ses membres, et en fait, elle est cette action. Son unité procède donc de l’unité des actions entreprises par ses membres.

Il est indispensable de définir cette unité précisément par le réseau analogique qui la constitue, afin de la relativiser sans la nier. En effet, l’unité présupposée absolue (identité des éléments constitutifs avec le tout social) débouche sur le totalitarisme, tandis que l’absence de toute unité (inexistence d’un réseau analogique constituant l’identité du tout avec lui-même) entraîne mécaniquement l’anarchie.

Quel est ce réseau analogique ?

La cause matérielle de la société politique est constituée par l’agglomération des citoyens vivant dans leurs familles et exerçant leurs activités dans le champ social. La cause formelle de la société politique est constituée par la structure interne de cette agglomération, c'est-à-dire l’ordre politique qui organise les rapports sociaux sans les détourner de leurs fins propres.

La cause finale de la société politique est appelée le bien commun, c'est-à-dire ce qui est recherché par tous en tant qu’ils sont un : la définition partagée et le respect par tous de la vertu, c'est-à-dire de l’action volontaire et éclairée, rendue plus aisée par l’habitude, en vue d’affirmer ce qui est vrai et ainsi, par degrés, d’aller vers la Vérité elle-même, c'est-à-dire vers la jouissance de Dieu. Quant à la cause efficiente de la société politique, c’est le Prince, c'est-à-dire le Pouvoir agissant conformément à la vertu. On remarquera qu’à la différence d’un être particulier organique, la société politique possède donc une cause efficiente intrinsèque, ou présumée telle.

De cette définition de la société politique conformément aux enseignements de la philosophie réaliste découlent les réfutations logiques d’un certain nombre d’« erreurs ». La théorie rousseauiste du Contrat Social est invalidée, puisqu’elle présuppose que la société existe antérieurement à sa cause efficiente (le Prince). Cette « erreur » au regard des règles de la logique thomiste débouche mécaniquement sur son propre retournement en absolutisme, puisque la cause efficiente étant confondue avec la cause formelle, elle ne peut avoir d’autres finalités qu’elle-même.

Dans le libéralisme, à l’inverse, l’erreur porte sur la cause finale. Le bien commun est alors compris comme la somme des biens particuliers, et la cause finale est donc assimilée à la cause matérielle. Dans ce cas, il devient impossible à l’ensemble du corps social d’aller vers la vérité partagée, donc vers Dieu, et cette impossibilité de tous finit par déboucher sur la plus grande difficulté de chacun.

L’ouvrage de Bernard de Midelt s’achève par une charge contre le personnalisme, doctrine dans laquelle il voit manifestement un début de renonciation au combat contre ces deux erreurs. Le personnalisme, début d’individualisme chrétien, n’affirme en effet pas clairement le Prince comme cause efficiente de la société politique – d’où ses difficultés à comprendre la question du politique précisément sous l’angle politique. Et il n’affirme pas davantage que la cause finale de la société politique est l’énonciation de la vertu et sa pratique partagée – d’où l’incapacité des personnalistes à subordonner les individus au bien commun.

Et au final, on a donc, à travers le petit bouquin de Bernard de Midelt, l’explication sur le fond des raisons pour lesquelles les catholiques « dans la Tradition » ne peuvent accepter :

- ni le projet rousseauiste de la Vérité préexistante advenant par le monde,

- ni le projet libéral d’une absence de toute vérité autre que celle produite par le monde agissant sans contraintes autres que les siennes propres,

- ni le projet « catholiques progressistes » de la relativisation de la Vérité.

Trois projets modernes, au sens de « compréhensibles seulement du point de vue caractéristiques des modernes », et qui ne s’inscrivent en effet pas dans la « manière de voir » religieuse, fondatrice de la vision catholique traditionnaliste, résolument antimoderne.

 

 

L’Equipe Scripto



23/03/2009
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