CONTRE LA SOUVERAINETE DU PEUPLE
Titre: |
La politique de saint Thomas (ouvrage dédié à Charles Maurras) | ||
Auteur: |
Victor BOUILLON | ||
Editeur: |
Letouzey |
Date de parution: |
1927 |
Cet article n'est pas une fiche mais juste un extrait du livre.
Or, qui donc a jamais soutenu que le peuple, en sa totalité, put être à lui-même son gouvernement ? Cette idée folle, reconnaissons-le, ne paraît guère avoir hanté le cerveau des philosophes, et encore moins des théologiens. Quand ils parlent de démocratie, c'est toujours en sous-entendant la désignation par le peuple d'une minorité chargée d'exercer le pouvoir. Ainsi la comprenait, nous l'avons vu, saint Thomas lui-même, quand il définissait la démocratie, non le gouvernement du peuple par le peuple, mais le gouvernement du peuple par beaucoup, per multos, par une certaine foule ou une certaine classe de la société, per aliquam multitudinem, per populum plebeiorum.
L'équivoque foncière impliquée dans ce mot de « démocratie » apparaît en plein ici. Dans le langage des hommes politiques et des philosophes, qui est aussi celui de la logique, c'est le gouvernement du peuple par le peuple, que celui-ci tienne de Dieu sa souveraineté ou qu'il en soit regardé comme la source unique, mais, en réalité, ce n'est jamais et ce ne peut être que le gouvernement du tout par
De là, vient sans doute que la démocratie formelle ne s'est vue nulle part, chez aucun peuple, à aucune période de l'histoire. Il y a eu des gouvernements monarchiques, aristocratiques, voire populaires, en ce sens du moins qu'ils affichaient la prétention de s'exercer au nom de la plèbe, et à son profit. Il y a eu des élargissements de minorités dirigeantes, des transferts d'influences d'un parti ou d'une classe à l'autre, des gouvernements par la tête et des gouvernements par les pieds. Mais nulle part n'est apparu ce phénomène : un peuple qui se gouvernât lui-même directement, un peuple souverain. Il est même intéressant de constater que jamais le peuple ne fût moins souverain que sous les chefs qu'il s'était choisis. Car il arrivait généralement de deux choses l'une :
Ou les nécessités du pouvoir étaient plus fortes que les enfantines prétentions de la foule, et que les calculs intéressés des partis ; elles s'imposaient aux élus, et ceux-ci, soucieux de ne pas laisser se détendre entre leurs mains les ressorts d'une autorité toujours prête à leur échapper et qu'ils ne retenaient qu'en l'exagérant, étaient entraînés vers l'autocratie. La foule, qui croyait s'être donné des esclaves, ne tardait pas à s'apercevoir qu'elle s'était mise aux mains des tyrans.
Ou les élus, au contraire, s'abandonnaient. Dans la mesure où leur nombre s'accroissait et tendait à s'égaler à la multitude même, c'est-à-dire dans la mesure où ils cessaient d'être des chefs, où leur autorité se dispersait et se dissolvait dans la multitude, la société tendait à l'anarchie qui est l'évanouissement de la souveraineté.
Historiquement, le gouvernement du peuple par le peuple est un mythe. Et il n'en pouvait être autrement, puisqu'il est logiquement une absurdité.
Articles connexes:
- Une référence d'Aristote sur le même sujet, dans les débats: la démocratie vue par Aristote
- JJ Rousseau, la démocratie totalitaire, sur une "résolution" du paradoxe
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