Eléments de philosophie comparée
Titre: |
Eléments de philosophie comparée (tome 2) | ||
Auteur: |
Alain Tornay | ||
Editeur: |
éd Saint Augustin |
Date de parution: |
2002 |
Le tableau synoptique et les extraits qui suivent sont tirés du livre.
Tableau synoptique des diverses structures de pensée en philosophie pratique (t II, p307)
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Causalité partielle, d’où effacement du bien-fin au bénéfice |
Causalité réciproque entre autorité et finalité | |
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du rationnel nécessaire |
d'une production par le sujet | |
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Primat de l'intellect |
Primat de la volonté |
Co-originarité raison-volonté |
La liberté |
La liberté est raison (pratique), adhésion à l'universel, conscience de la nécessité (Hegel, Engels) |
La liberté indifférente est création pure du bien autant que du vrai (Occam, Descartes, Sartre) |
La volonté libre est ordonnée à choisir et à aimer le vrai bien humain (Aristote) |
Le bien |
Le bien, qui peut se confondre avec la loi morale, s'adresse à l'intellect. On n'est méchant que par ignorance (Socrate, Descartes) |
Tout acte humain est bon, chaque individu le crée librement, ou y est déterminé, par delà bien et mal (Sartre, Spinoza, Sade, Nietzsche) |
Il y a un bien à vouloir parce que bon et conforme à la nature : les objets des vertus morales et intellectuelles (Aristote, Pascal) |
La loi |
La loi, purement rationnelle, est l'objet d'une volonté ramenée à une raison pratique. Chez Kant, c'est l'impératif catégorique |
La loi est le diktat arbitraire d'une volonté supérieure non rationnelle: le Dieu de colère (Luther), les parents (Freud), la société |
La loi naturelle est l’expression normative et rationnelle des inclinations propres à la nature humaine (L. Strauss, Thomas d'Aquin) |
Le pouvoir |
Le pouvoir sans limite se justifie en tant que raison incarnée (Hegel) ou savoir absolu fondé sur une idéologie (communisme, nazisme) |
Le pouvoir émané du contrat social est un Léviathan, il est la source unique du droit (Hobbes, volonté générale de Rousseau) |
Service en vue du bien commun, le pouvoir est une autorité demandant à être distribuée selon le principe de subsidiarité (D. de Rougemont) |
La vie économique |
La connaissance des lois dialectiques de l'histoire garantit l'apparition nécessaire d'une société communiste égalitaire (Marx) |
La libre recherche par les agents économiques de leur seul intérêt débouche sur le plus grand bien pour toute la société (A. Smith) |
La propriété privée doit être considérée comme une gérance responsable ayant une fonction sociale (Thomas d'Aquin) |
L'activité artistique |
L'art est une forme de connaissance soit inférieure (simple imitation chez Platon, ébauche du savoir absolu chez Hegel), soit supérieure. La beauté s'identifie à la vérité |
L'art est création par excellence, fée qui sauve (Nietzsche), révolte face au réel (Camus), signe antérieur au signifié (Mathieu). Le beau est pure fabrication |
Louange de la beauté du monde, l'art, à travers le Soi de l'artiste, rend grâces pour le sens et exprime le drame de l'existence (Claudel). Le beau est splendeur de la forme |
L’essentiel de la science politique (page 214)
La « physique » de la société, si l'on entend par là sa constitution de matière (les hommes) et de forme (la socialité), peut être pensée de trois manières.
1° La matière possède la forme de la socialité (causes réciproques)
Ø La socialité n'est pas séparée ni séparable : l'homme est politique, la vie en société est requise par la nature de l'homme car, selon Aristote, l'homme a le sentiment naturel du juste et de l'injuste, du bien et du mal.
Ø La cité est naturelle et a une antériorité de nature.
Ø Cette cité est faite de familles, la famille étant la communauté de vie d'un homme et d'une femme en vue de la procréation et d'une aide mutuelle.
Ø Les lois de la cité ont leur fondement dans la loi naturelle.
Ø La cité comme fin et Tout a une certaine antériorité, qui ne doit cependant pas être entendue en un sens absolu. Le caractère politique de l'homme n'épuise pas sa vocation ultime, qui dépasse la cité.
2° La forme-socialité est séparée de la matière (nominalisme atomistique)
Ø Les individus sont seuls réels. Non politiques, ils sont exposés à s'exterminer mutuellement à l'état de nature (l’homme est foncièrement mauvais). La socialité est surajoutée par le Contrat social, qui donne au souverain un pouvoir absolu (Léviathan).
Ø La société, juxtaposition d'individus et non de familles, est artificielle.
Ø Les lois émanent de la seule volonté du souverain (monarchie ou Assemblée chez Hobbes, peuple chez Rousseau) : positivisme juridique.
3° La seule vraie réalité est le Tout social (rationalisme idéaliste)
Ø Les individus sont des abstractions (Comte), peu dignes d'intérêt, même les grands hommes, qui sont manipulés par la « ruse de la Raison » (Hegel).
Ø Les individus (certes sociaux) ne sont que des parties, ils s'effacent au bénéfice du Tout qu'est l'Etat, ou l'Humanité, qui seuls sont substance et fin.
Ø En l'Etat la Raison hypostasiée s'incarne et la liberté s'effectue.
Ø Les lois ont l'Etat (Hegel) ou la volonté générale (JJ Rousseau) comme source : positivisme étatique ou démocratique.
4° La véritable fin de la cité: le bien commun
• Le bien commun est le bien du Tout qu'est la cité. Il inclut un aspect de sécurité extérieure et un aspect de prospérité et d'harmonie interne. Pour se réaliser au mieux il suppose le plus grand nombre possible de valeurs communes.
• La philosophie politique moderne ignore que le bien commun consiste dans la vie selon la vertu, dont l’effet propre est le perfectionnement moral des hommes.
• La question majeure est donc
L'homme est-il, par nature politique ? non politique ? que politique ?
Une erreur politique moderne, la théorie politique de Hobbes
L'Etat procède d'un contrat (page 193)
Une philosophie politique de tout autre allure[1] allait se développer à l'âge moderne. Dans le sillage d'Occam et Luther, Nicolas Machiavel (1469-1527) est un représentant majeur de la pensée politique moderne. Intéressé surtout au pouvoir de l'Etat, à la manière d'y accéder et de s'y maintenir, il a exposé sa pensée politique dans le langage du pragmatisme ou de l'histoire plutôt que de manière systématiquement philosophique.
D'un point de vue plus purement philosophique, c'est le britannique Thomas Hobbes (1588-1679), contemporain de Descartes, dont il partage la prétention à un recommencement absolu de la pensée, qui doit être considéré comme la source de la philosophie politique des siècles suivants.
L'homme cherche l'utilité et la gloire
Hobbes a construit sa philosophie sur une base radicalement différente de celle d'Aristote. Pour ce dernier, la philosophie politique est une partie de la morale, elle considère l'homme comme un sujet éthique. Hobbes est lui tout imprégné par l'esprit du mécanicisme[2] qui vient de naître en ce début du XVII° siècle. La philosophie politique se rattache, dans une perspective quasi matérialiste, à l'étude de la réalité matérielle, son objet est le mouvement et les relations de ces corps particuliers qu'on appelle citoyens.
Hobbes prend explicitement le contre-pied de la philosophie politique d'Aristote en niant la thèse fondamentale que l'homme est animal politique.
« La plupart de ceux qui ont écrit touchant les républiques, supposent ou demandent, comme une chose qui ne leur soit pas refusée, que l'homme est un animal politique, zôon politikon, selon le langage des Grecs, né avec une certaine disposition naturelle à la société. Sur ce fondement-là ils bâtissent la doctrine civile ; de sorte que pour la conservation de la paix, et pour la conduite de tout le genre humain, il ne faut plus rien sinon que les hommes s'accordent et conviennent de l'observation de certains pactes et conditions, auxquelles alors ils donnent le titre de lois. Cet axiome, quoique reçu si communément, ne laisse pas d'être faux, et l'erreur vient d'une trop légère contemplation de la nature humaine.
Car si l'on considère de plus près les causes pour lesquelles les hommes s'assemblent, et se plaisent à une mutuelle société, il apparaîtra bientôt que cela n'arrive que par accident, et non pas par une disposition nécessaire de la nature. En effet si les hommes s'entr'aimaient naturellement, c'est-à-dire en tant qu'hommes, il n'y a aucune raison pourquoi chacun n'aimerait pas le premier venu, comme étant autant homme qu'un autre ; de ce côté-là, il n'y aurait aucune occasion d'user de choix et de préférence. Je ne sais aussi pourquoi on converserait plus volontiers avec ceux en la société desquels on reçoit de l'honneur ou de l'utilité, qu'avec ceux qui la [les] rendent à quelque autre. Il en faut donc venir là, que nous ne cherchons pas de compagnons par quelque instinct de la nature ; mais bien l'honneur et l'utilité qu'ils nous apportent ; nous ne désirons des personnes avec qui nous conversions, qu'à cause de ces deux avantages qui nous en reviennent. »
Th. Hobbes, La citoyen ou les fondements de la politique (1642). trad. S. Sorbière, Flammarion, 1982 ; coll. «GF», p. 90.
A l'appui de sa négation du caractère naturellement social de l'homme, Hobbes observe que c'est en raison de l'amour-propre, ou si l'on veut du plaisir, que l'homme recherche la compagnie de ses semblables. Il inventorie deux sortes de plaisirs : 1) les plaisirs des sens, à rapprocher de l'utilité ou des commodités de la vie, 2) le plaisir de l'âme, qui consiste en l'honneur ou en la gloire, c'est-à-dire en une bonne opinion que l'on a de soi-même. Ce sont ces seuls avantages que les hommes, strictement déterminés par leurs passions, recherchent. Dès lors la société n'est pas une valeur en elle-même, elle est quelque chose d'accidentel ne comptant que pour les services qu'elle peut rendre à l'individu.
Alors qu'Aristote jugeait fondamental d'opposer l'homme à l'animal, Hobbes préfère insister sur ce qui est commun à l'homme et à l'animal. Ou alors, s'il les oppose, c'est au détriment des hommes, qui se distinguent des animaux en ce qu'ils sont « en rivalité au sujet de l'honneur et de la dignité » ou au sujet de la manière de conduire les affaires publiques, fauteurs de guerre civile, menteurs, moins portés au bien commun... Somme toute, l'accord entre les hommes est artificiel, alors que l'accord entre animaux est naturel ! (cf. Léviathan, trad. F. Tricaud, Sirey, 1971, p. 176-177).
[1] Que celle d’Aristote et de Thomas d’Aquin
[2] Mécanicisme : théorie philosophique visant à expliquer tous les phénomènes physiques, tous les processus naturels et spécialement les qualités sensibles par « figures et mouvements » (Descartes), c’est-à-dire s’efforçant de réduire tout l’univers aux axiomes de la géométrie et aux principes de
A consulter :
Thomas d’Aquin, Du royaume, De regno
Ph. Beneton, Introduction à la politique, éd PUF, 1997.
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- Note sur le Bien commun politique
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