La fin de l'Etat-Nation? (J.-F. Daguzan)
Titre: |
La fin de l’Etat-Nation De Barcelone à Bagdad |
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Auteur: |
Jean-François Daguzan |
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Editeur: |
CNRS |
Date de parution: |
Mai 2015 |
Il nous est difficile de concevoir une réflexion politique aujourd'hui en dehors de ce concept d'État moderne ou d'État-nation, qui n'a tout au plus que 500 ans… Pourtant la crise de ce système est de plus en plus patente ces dernières années, que ce soit en raison de crises séparatistes ou de contestations de communauté des buts poursuivis. Le concept d'État-nation de Renan, défini par la seule adhésion commune à un idéal, indépendamment des réalités ethniques, s’oppose à la nation par le sang (Volk) et est aujourd'hui concurrencé par la mondialisation économique ou celle d'un projet politique transnational violent. L’auteur s’interroge donc sur «les causes de cette effritement du fait national et sur les zones où celui-ci s'applique», avant de voir «si la période actuelle propose la redéfinition de nouvelles unités politiques», cette dernière partie étant la moins convaincante.
Les états postcoloniaux ont hérité des frontières coloniales à l'intérieur desquelles valait le mythe de l'unité nationale. Ce principe d'intangibilité des frontières et d'unité nationale a d’abord été défendu par la communauté internationale (Katanga en 1961, Biafra en 1971), avant d'être remis en cause par les mêmes (Kosovo, Sud Soudan). Cette duplicité rend insolubles toutes les revendications séparatistes, en Afrique comme au Moyen-Orient, où les islamistes reprennent à leur compte la critique des frontières artificielles. La création d'Israël présente aussi ce paradoxe d'un État aux mains de la seule nation juive qui ne sait comment gérer la citoyenneté de ses autres habitants. La critique de la forme occidentale de l'État mène à d'autres formes de sociabilité plus traditionnelles (tribu, ethnie) ou plus authentiquement locales (sunnisme, chiisme).
En Europe, les mouvements régionalistes arguent du précédent yougoslave pour refuser la fusion dans les États-nations, lui préférant même le fédéralisme européen. Des raisons économiques alimentent les séparatismes, que ce soit en raison d'une résilience à la crise supérieure au reste de l'État-nation comme en Catalogne ou en Italie du Nord, ou encore d'une manne pétrolière comme en Écosse ou au Sud Soudan.
Ailleurs, si seulement 3 états se sont créés (Bangladesh en 1971, Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1975 et Timor oriental en 2002), les velléités séparatistes n'épargnent personne, pas même les États-Unis qui, à l'abri du modèle auquel adhèrent les immigrants, risquent plus un changement d'identité ethnolinguistique.
Les propositions transnationales alternatives on fait long feu comme celles du communisme ou de l'islamisme, qui cherche désormais à territorialiser le califat. Même le mondialisme financier souffre de la crise : l'État-nation est aujourd'hui davantage remis en cause par la pression socioculturelle de populations qui lui dénient le rôle de gouvernance. Il est vrai qu’aujourd'hui l'explosion d'Internet et des réseaux sociaux a accentué l'individualisme. Cependant, quand l'auteur nous explique qu'il faut mettre sous le boisseau les communautés culturelles ou religieuses (“fantasmées”!...) pour «recréer à marche forcée un nouveau pacte entre le sol, l'État et le citoyen», il affiche sa conception libérale immanentiste du contrat social au détriment de la réalité de citoyens enracinés dans des communautés en demande de transcendance. Quand il énonce : «si la démocratie demeure une demande forte des populations, on détecte une tendance à ne la réserver qu'à son environnement paroissial. Finalement, les Basques, les Catalans, les Kosovars, les Corses, les écossais, les Touareg, les tribus, militant pour leur indépendance, admettent parfaitement un jeu démocratique à la condition exclusive qu'il soit circonscrit dans les limites de leur appartenance ethnolinguistique», on ne l’entend que comme un grossier truisme! Comment pourrais-je admettre que s'applique la loi du nombre (démocratie) dans un ensemble tellement vaste que j’y suis systématiquement en minorité?
Si la France a été l'archétype de l'État-nation en assimilant ses différentes composantes dans une mythologie unitaire, l'appel à un consensus minimal et le vœu de sauver l'État-nation français sont les moins convaincants de l'ouvrage. Ainsi, on n'avance pas beaucoup lorsqu'il annonce que ce siècle sera «celui de la recomposition des unités politiques soit par un retour aux formes anciennes (l'ethno-nation) soit, plus sûrement, par un modèle d'hybridation», ce dernier ressemblant à la forme pas très novatrice de fédéralisme. Pour la France, le choix de l'exemple de la réaction à “Charlie et l'hyperkacher” montre l'insuffisance du projet pour l'État de recréer «à grande vitesse un plus petit dénominateur commun français»: ce dénominateur commun ne peut vraiment être que des plus petits!
Finalement, la montagne accouche d’une souris : où l’on redécouvre la pertinence du principe de subsidiarité, avec une démocratie délibérative aux échelons plus limités et une autorité politique fédérale pour les fonctions régaliennes…
Georges
Complément documentaire
(Les liens hypertextes suivants renvoient soit à une fiche déjà présente sur ce blog, soit au livre sur Amazon, où j’ai déjà écrit un commentaire de lecture plus ou moins long sous le pseudonyme "le_fauconnier". Si certains de ces commentaires peuvent susciter des discussions, faites-le moi savoir, que je les rapatrie sur ce blog.)
- Stratediplo, La neuvième frontière, Lulu éd., 2017, très bon exposé des développements actuels des nationalismes et du jacobinisme à partir du cas catalan. L’auteur tient par ailleurs un blog d’analyse géopolitique ;
- Boldore-Penlaez, Atlas des Nations sans Etat en Europe, Yoran Embanner, 2010 ;
- Sérant, La France des minorités, Robert Laffont, 1965, daté mais offrant un panorama des nations minoritaires en France, et déjà très perspicace sur l’évolution possible d’autres nations minoritaires en Europe (malgré le contexte aveuglant de la guerre froide…) ;
- Mordrel, Le mythe de l’hexagone, Jean Picollec, 1981, sur l’artificialité volontariste de la « Nation » française ;
- -C. Barreau, La France va-t-elle disparaître ?, Grasset, 1997, défenseur du jacobinisme français ;
- Fisbach et R. Oberlé, Les Loups noirs, autonomisme et terrorisme en Alsace, Alsatia, 1990, sur le cas particulier alsacien.
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