Propaganda
Titre: |
Propaganda Comment manipuler l'opinion en démocratie ? | ||
Auteur: |
Edward Bernays | ||
Editeur: |
La découverte (Zones) |
Date de parution: |
2007 (1ère édition : 1928) |
A en croire les nombreux articles parus sur la toile après sa parution (dont une liste non exhaustive figure ci-dessous), la réédition de cette nouvelle traduction du manuel d'Edward Bernays a ému bien du monde… Pensez donc l'horreur ! On y apprend, comme c'est écrit en 4ème de couverture, que « la propagande politique au XXème siècle n'est pas née dans les régimes totalitaires, mais au cœur même de la démocratie libérale américaine » ! Si tous ces éminents spécialistes s'étaient davantage penchés sur des auteurs du XIXème siècle comme Gustave Le Bon (Psychologie des foules, PUF, Quadrige, 2003), ils n'auraient pas attendu de relire Bernays pour savoir que la propagande, qui n'est jamais que l'outil le plus élaboré de la démagogie, est bien consubstantielle de notre ère contemporaine des masses, et de la démocratie qui en est la règle (les dictatures totalitaires sont bien, généralement, arrivées par les mêmes moyens, mais elles sont les exceptions de notre époque !). Evidemment, si on ne vous avait pas prévenus, ça peut surprendre…
Vous pouvez vous abstenir de lire la préface, dans la droite ligne des « éminents spécialistes » précédemment cités... Si, ne reculant devant rien, vous la lisez quand même, vous y trouverez des éléments biographiques sur Bernays : neveu de Freud, immigré très tôt au Etats-Unis, il s'est véritablement lancé dans la propagande avec la Commission Creel, dont le but était de conditionner l'opinion publique en vue d'une intervention militaire américaine dans la Première Guerre Mondiale (voir le siècle de 1914), avant de devenir un spécialiste au palmarès éloquent, du lancement de la mode d'une salle de musique dans les maisons pour faire vendre des pianos, à l'organisation d'un concours national de statues sur barres de savon, pour faire vendre du savon, en passant par l'incitation réussie des femmes à fumer (au nom du féminisme !), pour relancer l'industrie des cigarettes après la guerre… Tout ça est bien résumé dans l'article d'Agoravox référencé ci-dessous. Mais surtout, vous pourrez vous amuser de la pathétique « démonstration » du préfacier (il parait qu'il a même écrit des livres : évitez !), qui peut se résumer ainsi : en voulant « scientifiquement » induire par la propagande des courants majoritaires au sein de l'opinion, Bernays a trahi (démenti ?) l'idéal (isme) démocratique des Lumières, selon lequel tous les individus doivent être suffisamment éclairés pour décider et choisir isolément et en connaissance, indépendamment de tout environnement social. C'est touchant, non ?
Car, quoi qu'on en dise ou pense, Bernays est un pragmatique ! Comme la société a besoin d'un minimum d'unité de décision, et puisqu'on a préféré à un « Conseil de sages permanent » de donner voix à tous ses individus indistinctement, il revient à la propagande « d'organiser le chaos », selon le très explicite titre de sa première partie, qui est aussi son idée maîtresse… Ce faisant, il voudrait redonner au mot « propagande » le sens neutre qu'il avait avant d'acquérir cette forte connotation péjorative, toujours en vigueur actuellement (du latin « propagare », diffuser une idée, une doctrine ; ce sens est conservé dans l'expression d'Eglise : « propagande de la foi »). Du coup, il subsiste toujours un flou lorsque Bernays mêle allégrement sous le même vocable ses deux sens : celui d'éducation quand la propagande vise à la sensibilisation du public sur des règles d'hygiène, par exemple, et celui de manipulation dans un but plus intéressé ou partisan.
« Organe exécutif du gouvernement invisible », la propagande se doit de suivre certaines règles sociologiques en s'adressant à des groupes d'intérêts communs. N'allez pas en déduire que Bernays souscrit à une conception organique de la société ! Car, au contraire, il a parfaitement assimilé la réorganisation de cette société individualiste en groupes, ou plutôt en rassemblements artificiels et éphémères, qui se jouent des contingences géographiques et sociales naturelles, d'autant plus que l'accélération des moyens de communication permet ces rassemblements : que dirait-il aujourd'hui, à l'heure du « world wide web » ? C'est la consécration des idéologies que les propagandistes les plus habiles parviendront à hisser au rang de courants majoritaires, et donc au pouvoir, au mépris de toute norme objective. J'avoue avoir un peu de mal à concevoir la place que Bernays entend ménager à l'éthique dans la démarche pragmatique du « conseiller en relations publiques », qui consiste à exposer d'une part au commanditaire (public ou privé) le potentiel et les limites réels de l'opinion et, d'autre part, à faire accepter à l'opinion les objectifs du commanditaire… Et cet impératif éthique est d'autant plus fragile que, comme l'ont montré Trotter et Le Bon, le discours rationnel n'a pas de prise sur la mentalité collective, guidée davantage par l'impulsion, l'habitude ou l'émotion. Les outils privilégiés, voire exclusifs, de la propagande seront donc les clichés, les slogans ou les images qui évoquent tout un ensemble d'idées ou d'expériences. En publicité, on ne proposera plus un produit, mais on suscitera un besoin (toujours insatiable, bien qu'accessoire). Enfin, pour achever de nous convaincre que le « rêve américain » salit vraiment tout ce qu'il touche, Bernays nous explique que l'art doit se démocratiser par la propagande et descendre jusque dans les objets industriels produits à la chaîne… Tout le monde l'aura compris : on a quitté l'Amérique des années 20 pour atterrir directement dans nos sociétés de consommation les plus récentes !
Puisque plus aucun sociologue sérieux ne croit encore à l'adage « Vox populi, vox Dei », Bernays attribue à la propagande ce même rôle « organisateur » dans les campagnes électorales (chapitre 6 : la propagande et l'autorité politique) : le véritable chef démocratique devra se distinguer par sa maîtrise de ces mécanismes de propagande, par laquelle il saura s'aliéner la majorité de l'opinion. Cela donne naturellement place à des campagnes électorales américaines dominées par les effigies envahissantes de l'âne et de l'éléphant, et dont l'essentiel des débats tourne autour d'aspects secondaires de la personnalité des candidats… De grâce ! Evitez les sourires goguenards et les clins d'œil entendus, ponctués du discours à l'Astérix : « ils sont fous ces Américains » ! Car, pensez-vous réellement que nos élections, dans les autres démocraties occidentales, suivent une évolution différente ? La mort dans l'âme, on doit encore reconnaître l'aspect visionnaire de Bernays lorsqu'il conclut ainsi ce chapitre : « Notre démocratie ayant pour vocation de tracer la voie (au monde !), elle doit être pilotée par la minorité intelligente qui sait enrégimenter les masses pour mieux les guider ». Au vu de toutes nos dernières affligeantes campagnes et du rôle croissant de publicitaires comme Seguela, avouez qu'on a bien suivi l'exemple…
Ne refermer ce livre que pour le ranger dans sa bibliothèque serait, à mon sens, une erreur… Sa terrible actualité en fait une base précieuse pour analyser méthodiquement des cas concrets de propagande. Ainsi, dans l'histoire récente, il serait intéressant de décortiquer les détails de la campagne de propagande qui a conduit, en France, à la légalisation de l'avortement, de l'instrumentalisation d'un procès à la mobilisation de groupes de pression… Ou encore d'étudier la corrélation statistique entre les campagnes de publicité Benetton à la fin des années 80 et la multiplication des mariages mixtes (interraciaux)…
A la suite de réflexions d'Alain Soral, je me pencherai modestement sur le traitement par les media de l'homosexualité aujourd'hui. Il m'arrive de regarder des séries télévisées : pas très enrichissant intellectuellement, je vous l'accorde, mais, avec un minimum d'esprit critique, c'est une base d'étude sociologique… Parmi les plus récentes de ces séries, nombreuses sont celles qui mettent en scène des couples de gentilles tarlouses qui se becotent dans des scènes interminables (et pénibles), ou qu'on surprend dans des tranches de vie quotidienne le matin, encore enlacés au padoque : série policière, série sur la vie d'un cabinet d'avocats, ou série plus niaise encore et « grand public », comme « plus belle la vie »… Certes la fornication n'est pas encore fortement suggérée, mais gageons que ce n'est qu'une question de temps : avouez qu'une telle inégalité flagrante avec le traitement des couples hétérosexuels a quelque chose d'intolérable ! Si vous ne percevez pas le fort caractère choquant que peuvent avoir de telles scènes, essayez de recueillir les vraies réactions ou impressions de vos parents, dégagées le cas échéant de leurs discours politiquement corrects, certainement sincères mais néanmoins induits (« faut vivre avec son temps », « je suis ouvert et tolérant », etc.). La question « à qui profite le crime ? » ne manque pas de réponses… En effet, outre une volonté idéologique de promouvoir la tolérance au rang de vertu, cette banalisation, alliée à la publicité tapageuse qu'on fait autour de manifestations comme la « Gay Pride », induit le schéma de comportement de la folle exubérante et jouisseuse, fort éloigné de l'homosexuel marginal des années 70 (voir Misère du désir, d'Alain Soral). A ce cliché qui s'incarne de plus en plus, correspondent bien sûr des habitudes de consommation qui sont de plus en plus loin d'être statistiquement négligeables…
Bref, la lecture de ce livre est absolument indispensable, à ceux qui y découvriront l'existence de la manipulation par la propagande, comme à ceux qui y aiguiseront leur esprit critique.
Georges
Complément bibliographique (et Internet) :
- Le livre est téléchargeable ici
- Edward Bernays : la fabrique du consentement ou comment passer du citoyen au consommateur (article sur Agora Vox)
- Article d'Igor Martinache (sociologie)
- Article de Sandrine Aumercier (Institut Européen de Psychanalyse et Travail Social)
- Le site de Francois-Bernard Huyghe, sur l'analyse de l'information en général
- Quelques relexions sur le soft-totalitarisme
- Aldous Huxley, dans la dernière partie de Tour du monde d'un sceptique (1925), Petite Bibliothèque Payot, mars 2005, dresse le portrait d'une société américaine contemporaine de cet écrit de Bernays, artificielle et frivole.
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