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La Republique des irresponsables

 

Titre:

La République des irresponsables

Auteur:

Michèle Alliot-Marie

Editeur:

Odile Jacob

Date de parution:

Septembre 1999

 

Incontestablement, ce livre met, par son thème central, le doigt sur un point sensible : l'irresponsabilité érigée en règle dans notre système politique et social ! Certes, on peut contester la définition donnée, strictement individualiste, de la notion de responsabilité, ainsi que la nécessité, supposée fondamentale, du lien entre responsabilité et l'idéologie de notre République… Néanmoins, l'état des lieux de l'irresponsabilité ambiante et de la sur-pénalisation des quelques rares responsables est pertinent et s'ouvre sur des solutions proposées qui contribuent, involontairement sûrement, à laisser entrevoir la nécessité d'une alternative.

 

Ce n'est pas pour nous surprendre, mais l'auteur définit la responsabilité par le droit individuel d'agir librement, certes sans négliger les devoirs corrélatifs à l'égard des autres, mais seulement dans un deuxième temps… Au contraire, rappelons que l'homme, comme animal social (et politique), est fondamentalement débiteur de la société, et que c'est pour qu'il fasse face à ses devoirs qu'il est juste de lui accorder liberté et autonomie les plus étendues possible, comme moyen. Je vous renvoie à la très belle introduction de Mes idées politiques de Charles Maurras, qui commence avec l'image du petit poussin qui brise sa coquille en disant : « je suis libre ! », alors que le petit homme a encore besoin de tant de soins extérieurs avant de pouvoir assumer son autonomie… MAM va jusqu'à nous expliquer que dans les sociétés traditionnelles, par immobilisme et impossibilité supposée d'initiative, seule la responsabilité juridique a cours, et que ce n'est qu'après que Descartes et Kant ont reconnu la liberté individuelle qu'apparaît la notion de responsabilité morale (pages 20-21) : là, on frise la blague ! Pourtant, elle voit bien les dérives de notre système moderne : hypertrophie de l'Administration qui, sous prétexte de protéger ses administrés, étouffe toute responsabilité individuelle ; disparition de la responsabilité morale au profit d'une « responsabilité » juridique dans un contexte d'inflation règlementaire ; conséquences de la Révolution Française qui a supprimé les corps intermédiaires, seuls contrepoids à la puissance publique (et qui caractérisaient pourtant les sociétés traditionnelles fustigées juste avant… Mais, ne soyons pas cruels !). Ah ! Les croyances des religions idéologiques…

 

L'irresponsabilité se manifeste d'abord par le report des conséquences négatives de leurs actes sur des institutions par les auteurs individuels : l'école qui se substitue aux parents dans la responsabilité de l'éducation des enfants, le système généralisé d'assurances qui abrite de toute conséquence financière de ses actes, jusqu'à l'Etat qui assure lui-même par répartition certaines assurances (Sécurité Sociale, ASSEDIC, RMI, retraite par répartition…). Il en résulte une indifférence généralisée du citoyen envers ses obligations et ses semblables : qu'importe les torts que je peux causer, «  l'assurance paiera » ; ou encore, être prélevé de cotisations obligatoires me dispense du devoir de charité à l'égard de mon voisin chômeur, malade ou pauvre. Cela est encore renforcé par l'idéologie post soixante-huitarde de l'éducation qui, au nom d'un individualisme narcissique, rejette toute morale traditionnelle ou norme extérieure pour ne privilégier que le « développement personnel » et n'accepter que les normes que chacun se donne en propre. Dès lors, comment s'étonner que chacun se croit en droit d'exiger le maximum (droit aux indemnités, au remboursement illimité des dépenses de santé, liberté de polluer…) et que tout litige ne se règle que par le recours à des procédures judiciaires ou aux assurances ? Assurément, le sens du devoir et la sociabilité en sortent, pour le moins, affaiblis !

En matière de délinquance, la responsabilité est jugée, à juste titre, « anesthésiée », en partant du constat selon lequel, en 1997, seuls 70 000 actes de violence commis par des mineurs, sur 150 000, ont donné lieu à des poursuites judiciaires et chaque année, 80% des affaires de petite et moyenne délinquance sont classées sans suite par le parquet. La principale raison relève encore de l'idéologie, selon laquelle on recherche en priorité des circonstances atténuantes au délinquant (mais moins systématiquement, bizarrement, dans les cas avérés de légitime défense…) dans son histoire personnelle, son état psychologique, etc.… En transformant le coupable en victime de la société, on ne favorise évidemment pas le sens de la responsabilité… Accessoirement, le jugement d'états psychiques nécessitant une expertise, la responsabilité des juges est reportée en grande partie, sinon essentiellement, sur ces commissions d'experts. Dans le fonctionnement de la Justice, en raison vraisemblablement d'une carence d'effectif, on assiste à une minimisation des actes délictueux et une séparation entre ces derniers et leurs sanctions. Or les délais toujours plus longs qui coupent la sanction de la faute font perdre à la sanction une grande part de ses effets dissuasif et exemplaire. Dans ce contexte, l'état d'esprit du délinquant tient plus de la théorie des jeux que du sens de la responsabilité ! Enfin, la critique de l'auteur de la disparité des jugements et sanctions, selon les lieux où ils sont prononcés, me semble tenir d'une atteinte plus au dogme égalitariste et centralisateur qu'à la véritable efficacité de la Justice.

Dans le monde du travail, les acteurs font normalement face à leurs responsabilités civile, pénale et professionnelle. Mais les lois, principalement dans le but de protéger l'action syndicale, exonèrent des catégories étendues de personnel de ces responsabilités. Outre les salariés statutairement protégés (délégués syndicaux, représentants du personnel, actuels, ex et postulants), il est pratiquement impossible de faire ressortir les responsabilités personnelles dans des mouvements collectifs, notamment syndicaux, fussent-ils criminels. De même, dans le cas d'une grève ou d'un mouvement social menaçant la survie d'une entreprise, personne n'aura à rendre compte des conséquences d'une éventuelle fermeture.

Les hommes politiques en place se défaussent aisément de leurs charges politiques et morales sur les fonctionnaires, évidemment plus inamovibles que les élus. C'est ainsi que la Fonction Publique, qui emploie près d'un Français sur deux, acquiert un réel pouvoir décisionnaire… tout en cultivant la fine fleur de l'irresponsabilité française ! Or, contre des décisions administratives arbitraires, l'administré n'a, selon la nature de l'acte, soit aucun recours possible, soit la possibilité d'un recours hiérarchique, le plus souvent illusoire en raison de la solidarité corporative. S'il décide de persévérer et si, par hasard, la Justice lui donne raison après une longue procédure judiciaire contre l'Administration, aucune responsabilité personnelle des fonctionnaires ne sera jamais examinée. Certes ce système assure au plaignant une solvabilité plus sure de l'Administration que de l'éventuel fonctionnaire incriminé, mais déresponsabilise totalement ce dernier. De plus, en interne, l'efficacité ou la qualité du service rendu au public ne sont pas pris en compte puisque, en raison des pressions syndicales et de notations tellement codifiées, l'avancement se fait plus à l'ancienneté qu'au mérite. Ainsi, il n'est pas rare de voir un haut fonctionnaire puni de son échec par une nomination à un autre poste… de rang supérieur ! A la question de l'auteur, de savoir si la démocratie peut s'accommoder de l'irresponsabilité des décideurs, je serais tenté de répondre par l'affirmative, puisque la question centrale de la politique moderne (pensez à Montesquieu et tous les principes de droit constitutionnel) réside dans la limitation des pouvoirs : quoi de plus opposé à un pouvoir personnel, affiché et omnipotent, que cette énorme machine, totalement anonyme et irresponsable ? Bien sûr, des esprits chagrins m'objecteront que c'est donner à des médiocres un pouvoir de nuisance totalement disproportionné… Ne comptez pas sur moi pour relayer les questions de ces oiseaux de mauvais augure !

Dans la magistrature, le juge d'instruction n'a pratiquement aucun compte à rendre de l'usage qu'il fait de son pouvoir de mettre en examen ou en détention provisoire. Aucune indemnisation des préjudices d'une mise en examen sans détention n'est prévue, alors qu'ils peuvent être réels, en cas d'intervention de la presse notamment. Quant aux détentions provisoires, elles sont plus souvent motivées par l'extorsion d'aveux ou de témoignages que par la crainte motivée de troubles à l'ordre public ou la fuite de l'inculpé. 40% d'entre elles sont suivies d'un non-lieu.

En votant dans une assemblée délibérante, aucun homme politique n'engage sa propre responsabilité civile. Au moins, devrait rester la responsabilité politique de l'élu devant ses électeurs… Las ! L'auteur constate avec amertume ce que la collégialité peut devoir à l'instinct grégaire, partisan et à la démagogie irresponsable… Pour redorer cette responsabilité politique, elle préconise un usage exclusif du scrutin uninominal. Mais, même les ministres reportent de plus en plus leurs responsabilités sur des commissions d'experts, de techniciens… Comment enrayer cette dérive technocratique ?

Dans les media, l'irresponsabilité des journalistes réside surtout dans leur incompétence… Ainsi, l'étiquette « spécialiste » d'un journaliste politique tient plus à sa connaissance des hommes politiques et des rouages partisans qu'à une véritable connaissance du fond des dossiers traités. Bien sûr, cette incompétence ou la diffusion de nouvelles erronées ne sont pas sanctionnées… Voilà encore un pouvoir de nuisance disproportionné, démultiplié par l'importance croissante des media, et contre lequel tout le monde est démuni, sinon à recourir à une procédure en diffamation, longue et au résultat de toute façon dérisoire. L'auteur propose une mesure qui pourrait être amusante : accorder au diffamé une plage d'expression strictement équivalente dans le medium incriminé à ce qui lui a causé tort (un homme public a fait la première page du Monde 5 jours de suite, avant d'être blanchi par la justice : il bénéficie de 5 premières pages pour, soit les laisser blanches, soit s'exprimer dedans… Imaginez ce système appliqué à la famille Villemain ou, plus récemment, aux inculpés innocentés d’Outreau… Avouez que ça nous éviterait de lire pas mal de conneries !).

Bref, cette irresponsabilité à tous les niveaux dresse le portrait d'une société marquée par le repli égoïste sur soi et une passivité générale, qui n'est pas sans rappeler la dissociété de Marcel De Corte. Dans ce contexte, celui qui fait preuve d'initiative est naturellement l'objet de la suspicion du plus grand nombre…

 

Aussi, tout est fait pour décourager ces trublions, ce qui pousse bon nombre de jeunes cadres et entrepreneurs à l'expatriation. Car l'arsenal en place contre eux est dissuasif : multiplication des sanctions ou procédures pénales, harcèlement fiscal… L'Etat régalien qui s'occupait de la défense, battait monnaie et assurait la justice n'est plus qu'un doux rêve nostalgique ! Aujourd'hui, l'Etat s'occupe de tout, encadre et contrôle toutes les activités, au prix d'une inflation législative dans laquelle on peut avoir, de bonne foi, du mal à se retrouver... Loin de constituer une norme fixe et intangible, les lois se multiplient, changent, s'annulent en fonction des majorités successives, et descendent toujours plus dans les détails et les cas particuliers. Ajoutez à ça les règlements et normes, encore plus innombrables mais toujours obligatoires, plus le droit communautaire européen, qui a la même prétention totalitaire que l'Etat français, et vous comprendrez que toute personne active et entreprenante jette l'éponge ! En effet, sont systématiquement en ligne de mire tous ceux qui voudraient agir et prendre des responsabilités : chefs d'entreprise, élus gestionnaires, et même les responsables bénévoles.

Devant ces obstacles, la réaction des entrepreneurs oscille entre le découragement, notamment quand ceux qui ont plus ou moins réussi se retrouvent confrontés au harcèlement de l'Administration, la fuite à l'étranger, qui touche surtout les plus jeunes, ou encore la révolte, qui se manifeste dans le départ à la retraite le plus tôt possible de certains commerçants et artisans ou dans le report de jeunes entrepreneurs potentiels sur la… Fonction Publique ! Face aux mêmes contraintes réglementaires, l'élu gestionnaire (maire, président de conseil général ou régional) se trouve sur-responsabilisé puisque, malgré l'étendue de son mandat, sa délégation de compétence ne l'exonère pas de sa responsabilité pénale en cas de faute ou d'accident. A l'inverse, certaines règles strictes, comme celle de l'attribution des marchés au moins-disant, qui favorisera toujours les grandes entreprises nationales, lui coupent toute liberté de manœuvre sur le plan local. Le statut d'élu, dans le climat habituel de guerre civile des partis, peut susciter de violentes campagnes procédurières, motivées plus par les allégeances respectives que par des faits réels, et éventuellement relayées par les media, eux, parfaitement incompétents et irresponsables, comme il se doit. Du coup, les plus sages ou avertis d'entre les élus gestionnaires s'abstiendront de toute action ou innovation 1 ou 2 ans avant l'échéance électorale…

 

Pour dégager des réponses à cette situation insoutenable, l'auteur veut revenir à une réflexion rénovée sur les rapports sociaux, en affirmant la nullité des idéologies libérale, socialiste et marxiste, toutes exclusivement inspirées de principes économiques, et en critiquant la dérive technocratique de notre Etat, qui phagocyte toute autonomie de la personne par sa conception totalitaire du droit. Voilà qui commence plutôt bien ! Ca se complique un peu quand il s'agit de concilier l'individualisme fondamental avec une « communauté nationale de destin » et la solidarité altruiste qu'elle implique… Qu'à cela ne tienne : on y arrive avec la fiction rousseauiste classique de la Volonté Générale (que MAM attribue à Tocqueville car, apparemment, Rousseau n'est pas son copain…), et ce n'est qu'en me soumettant à cette dernière que je reste pleinement libre (cf. Jean-Jacques Rousseau, la démocratie totalitaire)… Ne reste donc plus qu'à analyser les mesures concrètes pour instituer un apprentissage de la responsabilité, généraliser son exercice par la participation et sanctionner sa mise en œuvre…

L'apprentissage et le goût de la responsabilité passent évidemment par une revalorisation de la famille. Le politique a bien un rôle à jouer en sanctionnant les défauts de responsabilité familiale qui ont des répercussions sur l'ordre public, mais la mesure proposée de cessions de formation des parents à leur rôle, pour corriger des décennies d'assistanat irresponsable, ne doit être comprise que comme une mesure transitoire de rééducation, assumée par des initiatives ponctuelles et locales uniquement, au risque sinon, de consacrer théoriquement l'incompétence des familles et de se substituer à leur autorité légitime. L'enfant doit faire à l'école l'apprentissage de ses devoirs envers les autres et de sa responsabilité personnelle. A condition qu'on le lui enseigne, et que des sanctions récompensent ses efforts ou punissent ses fautes ! Et à condition que le système scolaire soit capable de valoriser les différences et proposer à chacun une insertion qui couronne ses efforts et attentes. Si la participation des jeunes aux Conseils locaux est une bonne idée quant à l'apprentissage des responsabilités, on ne suit pas l'auteur quand elle veut en faire un outil de revalorisation de la politique partisane, telle qu'elle existe actuellement.

La valorisation de l'initiative au travail passe par : l'actionnariat des salariés ; la suppression des structures fiscales qui aboutissent à une taxation du mérite (limites en tailles des PME/PMI qui, une fois franchies ajoutent considérablement aux contraintes, par exemple) ; la généralisation de la participation par objectifs, qui demande aux employés de rendre compte de leurs résultats tout en leur laissant une autonomie la plus large possible sur les moyens ; la rémunération du mérite et de l'initiative, y compris pour les fonctionnaires.

Au niveau de la cité, l'auteur veut réactualiser l'expression directe par le recours plus fréquent au referendum avec des questions compréhensibles par tous, ainsi que par l'idée originale selon laquelle, une ou deux fois par an, le Parlement devrait inscrire obligatoirement à l'ordre du jour les débats demandés par voie de pétitions qui auraient recueilli suffisamment de signatures. Le referendum doit être autorisé aux niveaux locaux et pourrait être initié une fois par mandat par un même système de pétitions. Le scrutin uninominal permet, on l'a vu, une mise en cause plus directe de la responsabilité de l'élu devant ses électeurs, au lieu que celui-ci réserve ses courtisaneries aux états-majors parisiens de partis pour être inscrit sur une liste… Il faut aussi susciter une plus grande participation de tous à la vie sociale à travers la gestion municipale, départementale, régionale ou l'action bénévole. La critique que l'on pourrait formuler à cet endroit réside dans l'absence de distinction entre social et politique. Pourtant, l'auteur sait ce qu'est le principe de subsidiarité, puisqu'elle l'invoque page 160, à propos du droit communautaire européen… (C'est toujours amusant d'entendre des républicains plus ou moins jacobins vous expliquer, d'une part, que la centralisation du pouvoir et la disparition des particularités régionales constituent un progrès et, d'autre part, refuser avec des cris d'orfraie que Bruxelles ne fasse pareil que Paris ! Cette position est pathétiquement illustrée par La France va-t-elle disparaître de Jean-Claude Barreau, Grasset, 1997…) Or, la gestion sociale d'une commune ou même d'une région n'est pas du domaine politique ! Pour que le politique n'interfère pas dans les autonomies sociales légitimes, le moins qu'on pourrait attendre de la désignation de ces responsables locaux, c'est qu'elle échappe au totalitarisme des partis et de leurs idéologies centralisatrices ! Sans aller jusqu'à cette distinction social/politique (on ne va pas lui reprocher de ne pas scier la branche sur laquelle elle est assise…), MAM n'en est pourtant pas si éloignée quand elle préconise une simplification des lois par le Parlement, un pouvoir fort et responsable de la part des ministres et du Président, mais une autonomie élargie pour les responsables locaux, pour que l'Etat ne contrôle plus étroitement toute activité par son Administration mais se contente de fixer des normes et de n'intervenir que si la finalité des actions locales l'exige.

Finalement, peut-être à cause d'une nostalgie du terroir, et malgré des principes discutables, elle arrive à nous décrire une société à dimension humaine et harmonieuse, fondée sur la responsabilité…

 

 

Georges

 

 

Bibliographie :

 

-Les 300 mesures, qui prennent en compte certaines de ces observations en proposant des pansements pour la jambe de bois…

- Jean-Marie Vaissières (pseudonyme de Jean Ousset), Fondements de la Cité, Club du Livre Civique, 1974

- Charles Maurras, Mes idées politiques, Albatros, 1986

 



17/05/2008
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