Je ne prendrai certainement pas la défense de René Guénon : je connais beaucoup trop mal l?auteur pour ça ! D?autant plus que son islamophilie ne semble se justifier que par une admiration exclusive pour le courant soufiste, assez éloigné du message coranique originel et orthodoxe (cf. Petit guide du coran, Laurent Lagartempes, Editions de Paris, 2004, en particulier pages 148-156)?
Néanmoins, je persiste à dire que le seul livre que j?ai lu de lui, La crise du monde moderne, Gallimard, 1946, est lumineux sur son sujet, abstraction faite éventuellement de son orientalisme inconditionnel et d?allusions quelque peu ésotériques (notamment sur un supposé âge d?or, rejeté à une date antérieure à toute civilisation connue). En effet, j?adhère à son admiration pour le Moyen-âge (qu?il ne peut considérer comme un âge d?or, mais uniquement comme un sursaut un peu incompréhensible, alors qu?il me semble que c?est l?âge d?or de notre civilisation, qui commence avec les invasions barbares, ce qui ne veut pas dire qu?il n?y a aucune continuité avec les précédentes civilisations antiques?), de même qu?à sa conception de la décadence qu?il date de la Renaissance, conception dont rend très bien compte le recueil de textes de Guénon et d?Evola, Hiérarchie et Démocratie, éditions de l?Homme Libre, 1999.
Car, contrairement à ce que sous-entend Ariste, dénoncer une dérive matérialiste n?est pas synonyme de négation de toute dimension matérielle des civilisations : c?est une question d?ordre dans les finalités. Alors que dans la Grèce antique le commerce était généralement condamné, on ne peut soupçonner Platon d?avoir été un tant soit peu bourgeois, sous le prétexte qu?il appartenait à une riche famille ! En revanche, l?émancipation d?un modèle bourgeois, qui commence avec la Renaissance (et la Réforme, mais cela nous emmènerait trop loin), fait du monde matériel un horizon indépassable. Ainsi, même en ce qui concerne l?art, si florissant à la Renaissance, un auteur comme Paul-Georges Sansonetti montre bien, dans son livre Chevaliers et Dragons (Editions du Porte-Glaive, 1995), la révolution qui a lieu à cette époque, en définissant le Beau exclusivement selon des critères techniques, au détriment de tout un monde symbolique. Et je ne reviendrai pas sur Descartes, parangon de la décadence intellectuelle, à propos de qui Guénon fait une excellente critique dans le livre cité?