Sergent Karacho
Titre: |
Sergent Karacho |
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Auteur: |
Saint-Loup |
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Editeur: |
Le Flambeau |
Date de parution: |
1994 |
Ce n'est pas sans gêne que j'avoue que la première réaction involontaire face à cette édition posthume (Saint Loup est mort en 1990) d'un roman sensé avoir été écrit en 1944, est le doute quant à son authenticité. En effet, ce titre n'a fait, semble-t-il, l'objet d'aucune parution antérieure et, hormis la reproduction de la dernière page manuscrite (mais je ne suis pas graphologue…), cette édition ne fournit aucun détail sur sa genèse. La préface de l'éditeur, dans laquelle s'est glissée une coquille (Saint Loup avait « déjà abordé les voies divergentes des ajistes à l'approche de la guerre » dans Les copains de la belle étoile, et non dans Nouveaux Cathares pour Montségur, qui est postérieur), n'aborde pas du tout le sujet et ne permet pas de lever le doute…
Aussi, j'espère ne pas trahir la mémoire du regretté Saint Loup en voulant croire qu'il s'agit bien là du deuxième roman de Marc Augier (qui n'était pas encore Saint Loup), après les copains de la belle étoile, et juste avant Face Nord… Car on y retrouve la fraîcheur de ces premiers livres, écrits en pleine tourmente et qui, s'ils traitent des engagements entiers de cette jeunesse confrontée à cette apocalyptique accélération de l'histoire, sont encore loin des œuvres ultérieures, relectures mythifiées de cette période qui font tout le charme « classique » de Saint Loup.
L'histoire est celle d'une troïka de jeunes militants communistes qui s'engage, sur ordre du Parti, pour faire de l'entrisme dans la « Phalange anti-komintern ». Tout le monde y aura bien sûr reconnu la LVF, pas vraiment étrangère à Saint loup qui l'a déjà évoquée dans Les Partisans et à laquelle il consacrera un récit : Les Volontaires. Tous ses personnages historiques apparaissent derrière des pseudonymes transparents, comme son aumônier atypique (outre son évocation très présente dans Les Volontaires, Mgr Mayol de Lupé a fait l'objet d'une biographie de René Bail : Les croix de Monseigneur de Mayol de Lupé, éditions Dualpha, 2000). De nos trois militants, l'un restera fidèle à son engagement initial et finira exécuté en passant à « l'ennemi », faute de pouvoir se faire comprendre en russe ; le deuxième, d'origine russe, retrouvera sa patrie charnelle, au-delà de toute allégeance tant au communisme, qu'au national-socialisme allemand ; et le troisième, le sergent Karacho, après avoir démystifié le paradis socialiste, trouvera sa voie dans l'ascétisme du guerrier. Sont présents dans ce roman des thèmes courants chez Saint Loup : la nostalgique fraternité des Auberges de Jeunesse, à la fondation desquelles il avait pris part et qui ont forgé une jeunesse enthousiaste, avide d'engagements divers, ainsi que l'exaltation des montagnes et des défis qu'elle offre, sujet principal de son roman charnière, Face Nord.
Visionnaire, Saint Loup dépeint aussi avec cruauté une jeunesse décadente : celle des « zazous ». Ces derniers, issus de la bourgeoisie aisée et dont l'insondable fatuité est confondante, se repaissent de jazz et sont « swing » dans tout ce qu'ils font… Exactement comme leurs clones qui, plus tard, écouteront d'autres musiques nègres d'outre-atlantique, tout en étant « cool », ou je ne sais quel autre anglicisme débile ! Ces « zazous », avachis et tournant le dos à toute valeur virile d'effort, de sacrifice ou de dépassement de soi, sont aussi le paradigme de la féminisation de la société. Les femmes, naturellement tournées vers le futur par la poursuite plus ou moins consciente de la perpétuation de l'espèce (faire des bébés, pour être plus élégant et moins éthologique), portent leurs choix, par facilité, vers ces hommes dévirilisés et suppléent à leurs carences en s'imposant avec autorité. Comme Paulette, la femme du héro, qui finit par préférer à son aventurier de mari qui la délaisse pour les champs de bataille, le fat et faible zazou qui, au moins, lui donnera un enfant, et qu'elle pourra « modeler au gré de son idéal de femme »… Malgré cette inversion des valeurs, la reprise en mains par les femmes peut néanmoins pousser ces rebuts de l'humanité virile à se réaliser, comme peut en témoigner cette escapade « camping et kayak » de Paulette avec son nouvel amant définitif (ce qui, dans l'esprit ajiste de Saint Loup, ne peut être négatif). Mais il faut bien reconnaître que l'engagement dans la vie active de ce dernier, obtenu par Paulette, pour improbable qu'il était avant, n'en reste pas moins tourné vers une vie conformiste et affreusement bourgeoise !
Car il n'y a finalement que les engagements virils et entiers, quels qu'ils soient, qui peuvent préserver de la médiocrité… Comme celui de ce sous-officier de la Phalange, ancien adjudant de la Légion Etrangère, qui « confond l'intérêt qu'il porte à la France avec la joie physique de commander des hommes, de récompenser et de punir et qui est le pain de sa vie dont il ne peut se priver sans vieillir vite et disparaître »… Comme celui de Kanterowitch, l'ancien communiste d'origine russe qui veut être seigneur ou commissaire du peuple, qu'importe, mais dans sa patrie retrouvée… Comme celui de Karacho, dont la vie a déjà été façonnée par les rudes labeurs et les risques de 10 années de militantisme, et qui tourne le dos à la civilisation fade et aseptisée pour l'univers violent de la communauté des soldats, « le dernier clan qui puisse rattacher l'homme aux grandes époques barbares »… Ou encore comme celui de Gérard, ce zazou « supérieur » qui prend conscience de la stérilité de son attitude jouisseuse, et décide d'être enfin acteur en passant aux Anglais pour « défendre la civilisation qu'ils aiment » ; car, à la suite de Les copains de la belle étoile, Saint Loup illustre la valeur intrinsèque de l'engagement par la diversité de ses motivations idéologiques… Mais pas comme celui de cet autre zazou, Doddy, qui rentre dans la « norme grisâtre de la cité » : « il avait déjà ce masque volontaire de celui qui lutte pour l'argent, le coin des paupières soucieux, le front voilé par les calculs, les épaules affaissées… » ! Bien sûr, ces engagements sont loin d'être sans sacrifices ! Au contact de ces vains et faciles plaisirs bourgeois (bons vins, plats raffinés, libertinage sentimental…), le sergent Karacho connaîtra la tentation de s'y laisser aller, encouragé par les fantômes de ses camarades tombés à l'Est, qui lui soulignent l'inanité de cette guerre dont les bourgeois profiteront toujours, sans verser leur propre sang. De même, si Paulette lui était apparue lors de sa deuxième permission à Paris, cela aurait suffi à « remettre en question son adhésion au clan des mâles puisque le destin des hommes se partage depuis toujours équitablement entre l'amour et la guerre ». Mais Paulette est partie et, plus déterminant encore, ce monde artificiel le dégoûte et ne pourra jamais étancher sa soif d'absolu et de liberté, qu'il calmera dans ses courses en montagne mais qu'il ne comblera vraiment que dans la violence virile de la guerre pour elle-même, sans aucune autre justification idéologique : « les possibilités de violence maintenues à ma disposition, l'occasion de risquer sa peau pour aider des camarades ; c'est tout ce qui me reste ! »
Voila donc un très bon roman du Saint Loup jeune, qui raconte l'actualité, avant qu'il ne devienne le sage qui tire des enseignements édifiants de l'histoire... Enfin, je l'espère !
Georges
Bibliographie
- Ressources Internet : une biobibliographie sommaire et des articles plus fouillés, avec des liens intéressants dont, en particulier : de Marc Augier à Saint Loup, Honneur et Fidélité, qui est une excellente synthèse.
- Sous le signe de la roue solaire, Jérôme Moreau, l'Æncre, 2002
- Tels que Dieu nous a voulus, Myron Kok, l'Homme Libre, 2004 (mais le texte original est daté de 1978)
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